Nick Drake : plus que cinq feuilles

Noah Boisjoli-Jebali

Mise en garde : Mention de suicide

Toutes les citations proviennent de la biographie de Nick Drake écrite par Patrick Humphries; Nick Drake : la face cachée du soleil.

« Now we rise / And we are everywhere » : voici l’épitaphe gravée sur la pierre tombale de Nick Drake (1948-1974), un musicien d’exception dont l’ampleur du talent ne fut reconnue qu’après son décès. Ces deux lignes sont tirées de la dernière chanson de son dernier album, Pink Moon de loin la plus optimiste du disque.

Né en Birmanie britannique, Nick Drake a étudié la littérature anglaise à l’université de Cambridge, où il passait ses journées à jouer de la guitare, soit seul ou devant des amis, et à fumer du cannabis. Il a également quelques fois essayé les hallucinogènes.

Très grand, élégant et toujours habillé en noir, Nick cultivait son apparence avec soin. Selon un ancien étudiant de Cambridge, Iain Dunn, « [Nick] savait très bien de quoi il avait l’air, et de comment il était perçu par les autres. Il se construisait une image. » Il était également d’une grande gêne. Détaché de tous et toutes, il peinait à communiquer sa pensée, et malgré sa beauté et sa popularité auprès des femmes, il n’a jamais été dans une relation à long-terme. « Je pense qu’il aimait l’idée qu’on lui trouve un air mystique », a expliqué Iain Dunn. « Mais je pense qu’il était aussi authentiquement, incroyablement timide et j’ai pu moi-même constater combien il était éloigné des autres. »

En dépit de sa mélancolie et de son air affecté, Nick n’était pas malheureux, à l’époque. Son ami Paul Wheeler précise : « Les souvenirs que je garde de lui au cours de cette période sont très drôles et pleins d’humour. »

I could have been a sailor, could have been a cook

A real live lover, could have been a book

I could have been a signpost, could have been a clock

As simple as a kettle, steady as a rock

« One Of These Things First », Bryter Layter

– Nick Drake

Nick abandonna ses études littéraires neuf mois avant les examens finaux afin de se consacrer à la musique. Lorsque sa mère souligna qu’un diplôme pourrait constituer un bon filet de sécurité pour l’avenir, Nick répliqua : « La dernière chose que je veux dans la vie, c’est un filet de sécurité! »

Il signa un contrat avec Island Records en 1968 et sortit son premier album Five Leaves Left en 1969. Le titre de l’album référait à un avertissement écrit à la fin des paquets de cigarettes Rizla : « plus que cinq feuilles ». Ironiquement, Nick Drake rendrait l’âme cinq ans plus tard.

La réception de Five Leaves Left fut positive, quoique peu enthousiaste. La même année, il s’installa à Londres, où il commença aussitôt à travailler sur son deuxième album, Bryter Layter, qui vit le jour en novembre 1970. Plus personnel et complexe que Five Leaves Left, Bryter Layter était garni d’arrangements « doux et très beaux », selon Lon Goddard, critique au Record Mirror. « Nick était assez euphorique », a dit Robert Kirby, qui a travaillé sur l’album avec Nick. « Le premier disque avait permis de faire connaître son nom. Je pense qu’il croyait que celui-ci serait le bon. »

Malheureusement, l’intérêt du public pour la musique de Nick Drake est demeuré faible.

Cet anonymat chronique était notamment dû à la réticence du musicien à se produire sur scène. Il donnait très peu de concerts, et lorsqu’il acceptait d’en faire, il tremblait tout le long, marmonnait, regardait par terre en jouant, quittait sans dire un mot… Nick n’était pas fait pour la scène. Selon son producteur Joe Boyd, Nick « parvenait à se raconter dans ses chansons, mais il éprouvait de grandes difficultés à parler aux gens ». 

Pourtant, aux dires de ses amis de l’école secondaire, il avait jadis été un « interprète plein d’assurance ». Mais il allait de pis en pis. « J’ai échoué dans tout ce que j’ai entrepris », a un jour dit le jeune homme à sa mère.

Le manque de succès de ses albums le désespérait.

Fame is but a fruit tree

So very unsound

It can never flourish

Till its stalk is in the ground

« Fruit Tree », Five Leaves Left

– Nick Drake

En 1971, Nick consulta un psychiatre et commença à prendre des antidépresseurs, ce qui l’embarrassait énormément. Il lança en 1972 son troisième et dernier album, Pink Moon, qui contenait beaucoup moins de fioritures que les deux précédents. C’était d’ailleurs une décision qu’il avait prise dès la sortie de Bryter Layter, riche en production. « Le disque suivant sera différent », avait-il annoncé. « Il sera très simple. » Pink Moon ne comprenait donc que onze courtes chansons assez sombres, toutes au chant et à la guitare, à l’exception de la chanson-titre, où on peut entendre Nick jouer quelques lignes au piano.

Encore une fois, l’album a peu vendu. « Peut-être est-il temps que M. Drake arrête d’agir si mystérieusement et commence à mettre de l’ordre dans sa vie », a écrit le critique de musique Jerry Gilbert dans le magazine Sounds.

Après avoir écouté Pink Moon, son ami d’enfance Brian Wells s’est exclamé à Nick : « Mon Dieu, si j’avais fait un tel disque et qu’il ne s’était pas vendu, j’aurais été très, très énervé. » Nick a répondu : « Eh bien, maintenant tu sais ce qui ne va pas chez moi. »

Il était alors retourné vivre chez ses parents à Tanworth-in-Arden et gagnait très peu d’argent. Il ne coupait plus ses ongles, sa chambre était en désordre et ses vêtements étaient sales. Ce fut sa consommation de drogues qui précipita son déclin. Il flânait régulièrement dans un squat fréquenté par des toxicomanes. « Nick venait beaucoup ici et restait assis là », a expliqué le journaliste musical Nick Kent. « Ce n’était pas un drogué. Mais […] ces choses l’avaient changé. »

Nick Drake a fait une surdose de Tryptizol, un antidépresseur, dans la nuit du 24 au 25 novembre 1974. L’enquête a conclu à un suicide.

Mais son histoire ne s’arrête pas ici. Bien qu’il n’ait pas été reconnu de son vivant ou même durant la décennie suivant son décès, sa musique a gagné en popularité à partir des années 80. Depuis, ses chansons sont utilisées dans des publicités et des films, et des musiciens et musiciennes tels que Kate Bush, Radiohead, Bon Iver et The Cure ont cité Nick Drake parmi leurs influences musicales.

So look, see the days

The endless coloured ways

Go play the game that you learnt

From the morning

And now we rise

And we are everywhere

« From the Morning », Pink Moon

– Nick Drake