La réalité de Mathilde

Par Sophie P.-Desmarais

Parfois nous ne réalisons pas que les conflits qui nous entourent sont des disputes inutiles. 

Dans mon texte, nous pouvons voir tous les problèmes que pourrait rencontrer une société. 

Ils sont vus à travers les yeux d’une jeune de 8 ans – l’incarnation de l’innocence et de l’honnêteté.

Par contre, pour elle, ces « problèmes » sont la norme.

Chaque matin, il faisait chaud sous les draps. La chaleur venant du lever de soleil venait frapper la fenêtre, trempant tout sur son passage d’une sensation enveloppante. On aurait dit du miel tiède qui venait l’enrober des orteils jusqu’au bout du nez.

– Coucou, mon amour.

Une main douce vint se poser sur la petite tête de Mathilde. C’était sa manière préférée d’être réveillée. Elle se sentait si étreinte d’amour, elle ne voulait jamais échapper à ce moment. 

D’autant plus qu’elle se faisait tirer du sommeil pour aller à l’école. 

Beurk!

Le petit œil droit de Mathilde s’entrouvrit. Elle observait la face à la peau pâle devant elle, les cheveux très courts et brun foncé, le sourire grand. 

Parfois, Mathilde confondait son parent. 

Sa maman ne voulait pas toujours qu’elle l’appelle « maman », mais préférait plutôt « papa ». On lui avait dit que c’est parce que son parent n’aimait pas s’identifier à un genre et que le sien était plutôt fluide. Pour iel, s’identifier comme un garçon ou une fille, ou quelque chose entre les deux, dépendait de comment iel se sentait à ce moment précis.

C’était difficile quand Mathilde apprenait comment s’exprimer à l’âge de cinq ans, mais maintenant tout allait bien.

Aujourd’hui, son parent ne lui avait pas fait signe de l’appeler par un pronom différent de ce qu’on lui avait assigné à la naissance.

– Allo maman, grommela-t-elle.

Elle était en retard.

La famille de Mathilde était souvent retardataire et elle se retrouvait beaucoup à devoir courir jusqu’à ses cours. Ses petites jambes ne couraient jamais assez vite pour être à l’heure.

La maîtresse de classe avait déjà les mains sur les hanches. 

– En retard, mademoiselle Archambault?

Les yeux de la classe tournèrent vers la nouvelle arrivante et ses joues prirent feu.

Elle prit place à son pupitre habituel, la tête cachée sous son capuchon.

Au moins, aujourd’hui ils parlaient du réchauffement climatique.

Ils discutaient souvent de ce sujet, et c’était devenu un des sujets favoris de Mathilde puisqu’elle en connaissait davantage sur la matière; son papa lui en parlait souvent.

Elle ne savait pas ce qu’elle aimait le plus à l’école : son cours de science lorsqu’ils parlaient de changements climatiques, ou bien son cours d’arts plastiques lorsqu’ils faisaient des avions en papier. 

Les deux sont des sujets dont elle entendait parler depuis la maternelle.

Si Mathilde pouvait choisir quel animal en voie de disparition elle serait, elle choisirait le requin blanc. 

C’est la folie au dîner.

Les amis de la classe criaient et couraient partout.

C’est le pudding de la cafétéria qui a provoqué le chaos.

Les desserts étaient projetés de droite à gauche, de haut en bas; tous les murs ont été recouverts de chocolats.

Si la maman de Mathilde ne l’avait pas déjà avertie de ne jamais manger des choses venant du plancher, elle aurait probablement pris une grande lichée.

Il leur a fallu la directrice pour venir les calmer.

Elle les a regardés d’un œil si effrayant, si menaçant, que Mathilde en avait les larmes aux yeux. 

Elle n’avait jamais vu la directrice de cette manière. Elle était souvent joyeuse et venait toujours leur souhaiter une bonne journée au début des classes. En plus, elle portait toujours des chaussures assorties à son hijab. Ce serait toujours la meilleure directrice.

Les parents de Mathilde lui avaient dit qu’elle devait se compter chanceuse, puisque dans certains pays, on n’aurait pas laissé sa directrice enseigner à cause de son signe religieux.

Cela la rendait triste, puisque Mathilde ne pouvait pas imaginer l’école sans elle.

C’est mamie qui venait chercher Mathilde aujourd’hui.

Elle ne l’avait pas vue depuis plusieurs semaines, puisque Mamie était allée voyager dans un autre pays. Depuis que son mari est mort, la grand-mère de Mathilde se retrouvait souvent triste, souvent seule, jamais contente. 

À la porte de sortie de la cour d’école, Mamie agitait la main pour la saluer.

Elle avait sur le dos un gros manteau gris enrobé d’une écharpe rouge. Un vent froid vint souffler dans ses cheveux gris.

Les feuilles tombaient déjà.

Mathilde a ramassé la plus belle feuille qu’elle ait jamais vue. C’était une feuille d’érable! Elle était pointue, avec des bouts rouges et orange.

On aurait dit du feu, partout par terre et dans les arbres!

Mathilde s’approcha de sa grand-maman chérie et lui montra sa feuille.

– Elle est belle, non? 

Peut-être que ça la ferait sourire, cette magnifique feuille. Elle était si belle que peut-être que mamie oublierait qu’elle était triste.

Elle hocha la tête et lui prit la main.

Elles marchaient toutes les deux dans le parc près de chez Mathilde.

Mamie faisait balancer leurs bras et chantait tout bas un air familier.

En lui tenant la main, la fillette sautillait à cloche-pied, comme si elle jouait à la marelle. 

Quelques sauts plus tard, elles s’assirent pour manger les barres tendres au chocolat de grand-maman. Elles étaient chaudes et fraîches, et Mathilde en avait mangé deux d’affilée.

Elle lui racontait comment s’était passée sa journée à l’école, mais Mamie ne semblait pas l’écouter. 

Mathilde suivit le regard de sa grand-mère et vit qu’elle observait les hommes qui s’assoyaient sur l’autre banc du parc. Ils étaient grands et avaient tous les deux des cheveux courts, et discutaient comme le faisaient Mathilde et Mamie.

– C’est des amoureux, comme mes papas! ricana-t-elle.

Sa grand-mère hocha la tête d’un air approbateur, mais Mathilde reconnaissait le regard qu’elle posait sur ces hommes.

C’est le même regard que Mamie posait sur Larry, l’homme près de chez Mathilde qui la saluait lorsqu’il fouillait dans le recyclage. 

Il cherchait souvent des canettes ou des bouteilles et les parents de Mathilde préparaient parfois un sac rempli de matière consignée à lui donner.

Souvent même, elle allait donner le sac à Larry elle-même, comme une grande.

Grand-maman était venue souper pour voir sa petite-fille le mois dernier, et lorsque Mathilde s’apprêtait à saluer son flâneur de rue préféré, sa Mamie l’avait châtiée. Ses parents se sont par la suite disputés avec sa grand-mère, comme ils le faisaient souvent. 

Mathilde ne comprenait pas pourquoi Mamie posait ce regard sur ses hommes. N’étaient-ils pas comme ses parents? 

Elle espérait aussi un jour pouvoir trouver quelqu’un qui l’aimerait autant que ses parents s’aimaient. Elle voulait tomber en amour comme dans les films.

– Assis-toi et mange correctement, dit sa grand-mère, comme le ferait une demoiselle! Et croise tes jambes, tu portes une jupe, franchement!

Elle haïssait les jupes! Elles étaient longues et ne couvraient jamais ses genoux qui s’éraflaient quand elle jouait au ballon.

Elles finirent leurs collations et continuèrent leur marche.

Au souper, les parents de Mathilde avaient l’air préoccupés.

Maman prenait un appel dans l’autre chambre et sa soupe se refroidissait. Mathilde avait presque fini la sienne, mais la conversation de travail de sa mère ne semblait jamais vouloir arrêter. Elle parlait de plus en plus fort, comme si elle était fâchée contre son collègue. 

Pourtant, maman avait toujours dit à Mathilde de ne jamais crier ou de hausser le ton, sauf si elle était en danger.

Papa, de son côté, regardait son téléphone en mangeant son souper. 

Il lisait souvent les nouvelles sur son portable, voulant le plus possible savoir ce qui se passait dans le monde.

Mais Mathilde ne comprenait rien des gros mots qu’ils utilisaient dans les articles. Ils utilisaient des gros mots, des grandes phrases, et de toute façon elle aimerait beaucoup plus parler à son papa de son cours de science que de regarder un téléphone.

C’était maintenant l’heure de se coucher.

La journée de Mathilde était remplie d’énergie et de jeux; elle était fatiguée.

Brossage de dents, pyjama, hop au lit.

Ses parents étaient auprès d’elle. Ils lui souhaitèrent une bonne nuit.

Elle s’apprêta à s’endormir, mais elle pensait à demain, toute excitée de sa prochaine aventure, de son prochain défi.

Elle voulait voyager autour du monde et vaincre tous les dragons!

Mais pour l’instant, Mathilde n’aurait que des journées normales.

Comme aujourd’hui.

Medium – This Is What’s Wrong With Society Today