« The Whale » : un récit d’espoir et d’abandon assez touchant

Par Maya Sapronov

The Whale, sorti le 21 décembre 2022 au Canada, est une adaptation de la pièce de théâtre du même nom écrite par Samuel D. Hunter et jouée pour la première fois en 2012. Le réalisateur Darren Aronofsky à qui l’on doit le chef-d’œuvre Requiem for a Dream (2000) ainsi que Black Swan (2010) et Mother (2017) a affirmé, lors de la première au TIFF (Festival international du film de Toronto), avoir été très touché par la pièce. On comprend pourquoi en découvrant le personnage principal autodestructeur de la pièce qui ressemble bien aux personnages souvent mis en scène par Aronofsky : des personnages étant leur propre pire ennemi.  Il voulait absolument adapter la pièce au cinéma et a donc travaillé de très près avec Samuel D. Hunter afin d’amener l’œuvre sur le grand écran. Le film ayant obtenu le prix BFCC (Black Films Critics Circle) pour la meilleure adaptation cinématographique et plusieurs prix au Festival de Venise a tout de même fait l’objet d’une énorme controverse quant à la représentation du personnage principal que certains qualifient de grossophobe. Pourtant, The Whale aborde l’obésité sans maladresse, ce qui est rarissime au cinéma. On a, en général, tendance à utiliser les personnages en surpoids comme des caricatures comiques, ce qui est absolument dégradant et perpétue des idéaux grossophobes. Dans la série Brooklyn 99 (2013) par exemple ou encore dans le film Norbit (2007). 

The Whale, c’est l’histoire de Charlie (Brendan Fraser), un professeur d’écriture obèse à qui l’on annonce que son espérance de vie est d’une semaine dû à un problème cardiaque. Refusant catégoriquement d’aller à l’hôpital, il entreprend de renouer les liens avec sa fille Ellie (Sadie Sink) qu’il n’a pas vue depuis 8 ans et qui, elle, n’est pas ravie de le retrouver. Le franc-parler d’Ellie mène sa mère à croire qu’elle est machiavélique, mais Charlie, lui, voit en sa fille une honnêteté, certes brutale, mais nécessaire et admirable. Si Charlie n’a pas perdu foi en l’humanité et est rempli d’espoir, il s’est pourtant abandonné lui-même au désespoir dans lequel il est tombé après la mort de son amant Alan, pour qui il avait quitté sa femme et sa fille. Voulant accomplir quelque chose avant sa mort, il dévoue ses derniers jours à Ellie à qui il enseignera des leçons de vie importantes sur l’acceptation, la sincérité et le pardon tandis que la sœur de son feu compagnon, Liz (Hong Chau) s’occupe de lui et qu’il a la visite occasionnelle de Thomas (Ty Simpkins), un missionnaire catholique déterminé à le guider spirituellement. 

Brendan Fraser, un retour grandiose

Darren Aronofsky, après dix ans de recherche pour trouver l’acteur qui incarnerait Charlie, sut tout de suite que Brendan Fraser, qui n’avait pas interprété de rôle principal depuis une décennie, était l’acteur parfait pour le rôle en le voyant dans la bande-annonce d’un film brésilien indépendant, Journey to the End of the Night (2006). Autant dire que ça valait dix ans d’attente. Brendan Fraser porte tout le film. Sans sa performance incroyable, l’impact de ce récit psychologique serait bien moins important. Fraser a un jeu honnête et touchant qui fait passer une foule d’émotions au spectateur. Plusieurs des scènes vous donneront très certainement des frissons d’émotion tant son jeu est convaincant et puissant. Autant dans les scènes de dialogues que dans ses scènes solos, Fraser prouve son talent pour l’interprétation. C’est donc sans surprise qu’il a remporté le Critics’ Choice Award du meilleur acteur pour son rôle dans The Whale ainsi qu’une poignée d’autres récompenses et qu’une bonne partie du public s’entend sur le fait qu’il va très certainement gagner l’Oscar pour lequel il a été nominé. 

Des personnages trop en surface 

Malgré le jeu merveilleux de Fraser, Charlie est un personnage manquant un peu de profondeur, comme tous les personnages du film en fait. On nous présente des personnages assez complexes, mais c’est comme si l’on ne faisait que nous les introduire, sans jamais vraiment nous en dire plus sur eux. On reste en surface. Leur développement se fait très doucement, ce qui rend le rythme assez lent et l’histoire un peu répétitive par moment. 

Une vraie immersion 

Il faut admettre que même si les personnages ne sont pas très attachants, on a bel et bien l’impression d’être avec eux dans l’appartement de Charlie pendant les 117 minutes durant lesquelles le film s’écoule. C’est souvent l’effet que donne un huis clos, mais celui-là est particulièrement immersif. C’est que l’appartement de Charlie est si restreint et la lumière y est si faible qu’on a l’impression d’être dans son cocon. Son appartement est d’ailleurs la figuration directe du cocon duquel Charlie n’arrive pas à sortir, un reflet de son état intérieur. Après la mort d’Alan, Charlie s’est arrêté de vivre, il s’est enfermé dans un mode de vie particulier et ne sort désormais plus de chez lui. Le travail de la lumière vient également appuyer la métaphore de son état psychologique. À chaque fois qu’un personnage ouvre la porte de chez lui, on est complètement ébloui par la lumière de l’extérieur qui se limite au rectangle de l’encadrement de la porte alors que l’intérieur du domicile est plongé dans la pénombre, un contraste marqué qui pourrait bien faire référence à l’état d’âme de Charlie. En effet, celui-ci s’est abandonné lui-même, mais a énormément d’espoir quand il s’agit des autres; tous les personnages sont dans la lumière, mais, Charlie lui, reste figé dans la pénombre. 

Brendan fraser, métamorphosé

Pour jouer le rôle de Charlie, Fraser a bien évidemment dû porter des prothèses. L’ensemble des prothèses pesait 150 kilogrammes et l’application de celles-ci prenait environ deux heures et demie chaque jour de tournage. On ne peut que féliciter le travail époustouflant d’Adrien Morot à qui il n’a fallu que douze semaines pour élaborer tout le costume, mais aussi Judy Chin, travaillant sur le maquillage, ainsi que l’équipe des effets spéciaux sans qui le personnage de Charlie n’aurait pas été si crédible. C’est grâce à ce travail esthétique achevé à la perfection que le personnage a l’air authentique.  

En bref, The Whale est un film à regarder surtout pour ses symboliques touchantes et la performance exceptionnelle de son acteur principal plus que pour son intrigue. Un récit touchant et qui redonne espoir en nous invitant au cœur de la psychologie des personnages avec des dialogues émouvants tout en nous menant vers une chute inévitable, ça vaut le coup!

The Whale (La Baleine)

Drame psychologique de Darren Aronofsky. Avec Brendan Fraser, Hong Chau, Sadie Sink et Ty Simpkins. États-Unis, 117 minutes, en salle. 

Photo : Chris Bair sur Unsplash