Bonne COP, bad COP : Les enjeux

Par Noah Boisjoli-Jebali

Du 7 au 19 décembre se tient au Palais des congrès de Montréal la deuxième partie de la COP15. C’est l’occasion pour des délégué.e.s du monde entier de reprendre les discussions sur la biodiversité amorcées lors de la première partie de la conférence, réalisée virtuellement en octobre 2021. Au Collège de Maisonneuve et à travers le Québec, des voix s’élèvent en opposition.

L’événement a lieu quelques semaines après la clôture de la COP27 à Charm-El-Cheikh en Égypte, elle aussi organisée par l’Organisation des Nations unies (ONU). Cela dit, bien que les deux COP traitent de thèmes semblables, elles sont bel et bien deux événements différents.

En bref, l’acronyme COP signifie « Conference of the Parties » (conférences des parties) : il ne désigne rien de plus qu’un sommet des États. Il en existe trois, en environnement : la COP sur la lutte contre la désertification, la COP annuelle sur le climat (comme la COP27 de cet automne, ou alors la COP21 de 2015, durant laquelle a été signée l’Accord de Paris) et la COP sur la biodiversité, telle que celle qui se déroule présentement. Retardée par la pandémie, elle a atterri par défaut à Montréal, siège du secrétariat de la Convention sur la diversité biologique de l’ONU.

La biodiversité : plus qu’une histoire de grenouilles

Parce que la chronique de la disparition de la rainette faux-grillon ne semble émouvoir personne, voici cinq raisons concrètes pour lesquelles la protection de la biodiversité importe à l’avenir de l’humanité :

  1. Cercle vicieux

En plus de constituer un joyau irremplaçable, la biodiversité agit comme une barrière de protection naturelle contre les changements climatiques. Les forêts mondiales, par exemple, absorbent 16 milliards de tonnes de CO2 par an – soit le double de ce qu’elles relâchent dans l’atmosphère en se dégradant et en brûlant. Mais cette harmonie est précaire : les forêts d’Asie du Sud-Est, par exemple, émettent désormais plus de gaz carbonique qu’elles n’en séquestrent, du fait de leur déforestation massive. De puits inestimables, elles deviennent elles-mêmes des sources de carbone. Ce sera également bientôt le cas de la forêt amazonienne, qui a perdu 8% de son territoire entre 2000 et 2018, et qui absorbe maintenant 1,2 milliard de tonnes de CO2 pour 1,1 milliard de tonnes relâchées chaque année.

  1. Écosystème

La forêt boréale, dont 28% du couvert se situe au Canada, emmagasine deux fois plus de carbone que la forêt tropicale, et six fois plus que la forêt tempérée. Elle abrite également le caribou boréal, qui figure sur la liste des espèces menacées depuis 2003. Essentiel à l’étude de la santé de la forêt boréale, le caribou a vu son habitat grandement perturbé par l’industrie forestière, les incendies, les changements climatiques et l’aménagement de routes, diminuant drastiquement sa population. Le caribou boréal est une espèce parapluie : s’il disparaît, c’est un signe qu’un écosystème s’écroule en même temps que lui. « Même la disparition d’une espèce est préoccupante, car son importance pourrait être aussi cruciale que celle du moteur dans l’automobile », explique l’agence Parcs Canada sur son site Web. « Même si toutes les autres pièces de l’automobile sont fonctionnelles, sans moteur, elle ne peut démarrer. » Et qu’on le veuille ou non, nous faisons partie intégrante de cet écosystème – et il est fragile.

  1. Pandémies

La déforestation augmente également le risque de pandémies similaires à celle de la COVID-19. En effet, les espèces animales dont l’habitat est détruit sont forcées de se déplacer, les rapprochant des êtres humains, ce qui les rend plus susceptibles de nous transmettre des pathogènes avec lesquels nous n’entrerions normalement pas en contact.

  1. Pénuries alimentaires

Cet hiver, de nombreux apiculteurs québécois ont constaté des pertes d’abeilles allant jusqu’à 65%, alors qu’elles oscillent généralement plutôt entre 20% et 30%. La prolifération de parasites provoquée par les changements climatiques et l’utilisation des pesticides seraient en cause. Cette hausse du taux de mortalité des abeilles ne se limite toutefois pas au Québec : en France, ce taux est passé de 5% à 15% depuis les années 90. Sachant que 80% des plantes à fleurs ont besoin de pollinisateurs pour donner des graines et des fruits, ce serait se priver de plusieurs aliments que de laisser les abeilles s’éteindre. Adieu bleuets, adieu chocolat, adieu café, pommes, arachides…

  1. Pénuries alimentaires (oui, encore)

Les activités humaines affectent également les récifs coralliens, qui, en raison du réchauffement des océans, blanchissent à une vitesse préoccupante. Riches en biodiversité et indispensables à la survie de 500 millions de personnes, les coraux hébergent 10% des poissons pêchés mondialement et de 70% à 90% des poissons pêchés en Asie du Sud-Est. Ils permettent également de diminuer la force des tsunamis et des tempêtes qui s’abattent sur les installations côtières. Malheureusement, ce blanchissement compromet leur efficacité. De plus, tout comme les forêts, ils captent plus de carbone qu’ils n’en émettent, mais l’acidification des eaux causée par les changements climatiques nuit à cet équilibre.

Espoirs, frictions et manifestations

La question n’est donc pas de savoir si la biodiversité doit être protégée, mais bien comment. C’est pourquoi l’ONU organise des sommets tels que la COP15, qui permettent aux pays de se concerter et de définir des objectifs.

Les ministres de l’Environnement au fédéral et au provincial, Steven Guilbeault et Benoit Charette, ainsi que la mairesse de Montréal, Valérie Plante, s’enthousiasment de l’événement dans une lettre commune : « La COP15 est l’occasion de démontrer notre leadership et d’inciter le monde à agir, sans attendre, pour protéger la nature qu’on chérit. En accueillant la COP15, nous contribuerons activement à mettre en place les partenariats nécessaires à la protection de la biodiversité partout sur la planète. »

À leur avis, la solution passerait donc par un consensus entre les États, les expert.e.s et les grandes entreprises – puisqu’un nombre sans précédent de délégué.e.s du secteur privé sont également présent.e.s. Bien qu’aucun des objectifs de la COP14 de 2018 n’aient été respectés, plusieurs s’attendent à l’aboutissement d’un équivalent pour la biodiversité de l’Accord de Paris.

L’appréhension est grande du côté des organisations non gouvernementales (ONG) environnementales. Ainsi, Greenpeace appuie la COP15, la qualifiant de « notre meilleur chance de protéger la biodiversité à l’échelle mondiale et de mettre fin à la crise de la biodiversité », mais précise qu’en raison de la méconnaissance généralisée à propos de la biodiversité, « il existe actuellement un risque sérieux que cette chance […] nous échappe ». La Fondation David Suzuki participe à la conférence et dit surveiller vigilamment les négociations.

Cet engouement à l’égard de la conférence n’est cependant pas partagé par toutes et tous : la Coalition anticapitaliste et écologiste contre la COP15 prévoit quelques manifestations, notamment les 7 et 9 décembre. Elle a également mis sur pied une rencontre d’information au café étudiant du Collège de Maisonneuve le 24 novembre, ainsi qu’un « teach-in »1 contre la COP15 à l’Université McGill le 26.

« Nous avons besoin d’un changement que la COP15 ne peut nous offrir », explique la Coalition dans un communiqué. Elle dénonce entre autres l’implication du privé dans la conférence ainsi que l’une des cibles à être adoptées, l’objectif 30×30, qui consiste en la transformation de 30% de la planète en aires protégées2 avant 2030. Dans une déclaration commune, quatre ONG3, dont Amnistie internationale, contestent également la proposition, affirmant que les aires protégées « [dévastent] les vies des peuples autochtones », dont les terres abritent 80% de la biodiversité mondiale. En effet, Amnistie internationale aurait observé dans des aires protégées d’Afrique et d’Asie « des expulsions forcées hors de terres ancestrales, la destruction de pratiques culturelles, des arrestations arbitraires de membres de la communauté menant des actions de protestation, la privation du droit à des moyens de subsistance, à la santé et à l’éducation, et le manquement à la responsabilité d’obtenir un consentement préalable libre et éclairé ». 

La tenue de la COP15 au Palais des congrès de Montréal mobilise plus de forces policières que jamais en vingt ans, ce qui a préoccupé la Ligue des droits et libertés quant au respect du droit des citoyen.ne.s de manifester. Le Service de police de Montréal a toutefois dissipé les inquiétudes et affirmé respecter en tout temps la Charte des droits et libertés lors de l’exercice de ses fonctions.

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Notes :

1) « Teach-in » : Événement d’éducation populaire

2) La Convention sur la diversité biologique de l’ONU définit une aire protégée comme une « zone géographiquement délimitée qui est désignée, ou réglementée, et gérée en vue d’atteindre des objectifs spécifiques de conservation ».

3) Amnistie international, Minority Rights Group International, Rainforest Foundation UK et Survival International