Le mal du siècle et moi

Par Anaïs Medouni

Ce que Baudelaire a appelé le spleen. Le mal de l’être et moi. 

Le ciel est empreint de bleu et de couleurs délavées. Je les vois dégouliner. Les teintes pastel du petit matin glissent et coulent le long de l’horizon pour se mélanger avec la poussière et la neige du printemps. Je marche dessus, et elles continuent leur écoulement vers des égouts. Une rivière printanière, source qui descend le long de la montagne, qui trace son petit sillon après l’hiver long. La neige a fondu et coule des pics enneigés. Et la source est sale, et le printemps est plus gris que la saison qui l’a précédé. Je n’ose pas penser à l’été. 

Le mal de l’être et moi. Difficile de croire à quoi que ce soit, en qui que ce fût. L’époque du romantisme remonte à si loin ! Difficile de se rattacher à des valeurs obsolètement obsolètes, dont l’annonce de l’obsolescence est elle-même obsolètement obsolète dans son obso-obso-obsolescence… obsolètement sans goût, tout, rien, n’a de goût ni de sens ni de suite et pourtant rien, tout se répète infiniment en un cycle de saisons obsolètement ennuyantes et toutes aussi mauvaises (même les mots sont obsolètes). Cette répétition sans fond et sans fin des mêmes jours qui prétend différencier les jours les uns des autres ne fait que les fondre ensemble à en perdre le sens du temps. Un manège au siège duquel nous sommes collés (c’est les saisons), qui ne cesse de tourner en rond (toujours les mêmes mouvements, les mêmes variations), duquel on ne partira jamais jusqu’au jour où on n’aura plus la force de s’y cramponner : on tombera par terre et on se fera écraser (c’est la mort). Constater avec effroi que les mêmes jours et les mêmes vies se répètent depuis deux siècles, deux siècles depuis le spleen et moi, deux siècles dans leur continuité qui n’en font qu’un..

La perte de mes illusions idéalistes sur ce qu’est une vie, une jeunesse s’accorde avec la perte de mon temps. Voici ma Confession (j’imite Musset), moi, en tant qu’enfant du siècle. Je confesse au fait que les rêves sont désuets, que notre descente aux enfers collective est amorcée. Nous (les enfants du siècle, interminable siècle dont Alfred de Musset a été l’enfant et Rimbaud, et Chūya et moi aussi), Nous ambitieux, Nous idéaliste. Les couleurs dégoulinent des cieux et les nuages se délavent; la stratosphère se ramollit puis se déforme et se froisse avant de s’étendre. Elle prend de la place puis elle remplace l’air, le sang et tout ce qu’il y a dans la tête. La même journée de deux siècles et d’un instant se répète et s’allonge parce qu’elle ne veut pas finir. Non, plutôt, elle a peur de mourir alors elle s’allonge et elle s’étire et nous (Nous) sommes nés en cette journée interminable, source intarissable et sale qui coule des pics lors d’un printemps porteur de mauvaises nouvelles et de mort. Ni l’espoir ni le combat ne mettront un terme à ce siècle qui est en soi une fin. 

Le mal du siècle et moi (on se connait bien).