Sang homosexuel : Pourquoi les dons seront bientôt ouverts à tous

Par Noah Boisjoli-Jebali

Mars 1982. Le premier cas de sida est signalé au Canada. Ce sont les prémices d’une épidémie qui fera 79 millions d’infections et 36 millions de décès à travers le globe. Au comble de la crise, deux mille cas canadiens s’ajoutent au compte après avoir reçu des transfusions sanguines contaminées par le VIH. Soixante mille autres patient.e.s contractent l’hépatite C de la même manière. Il s’agit du scandale du sang contaminé, « une des plus grandes tragédies humaines que le Canada ait connues depuis des décennies » selon Bernard Derome, le chef d’antenne du Téléjournal de Radio-Canada à l’époque.

C’est à la suite du scandale du sang contaminé, dont le coupable désigné fut la Croix-Rouge canadienne, que furent créés Héma-Québec et la Société canadienne du sang. La Croix-Rouge ne commença en effet à réaliser des tests de dépistage sur les dons reçus qu’à partir de 1985. Depuis, Héma-Québec et la Société canadienne du sang se chargent des transfusions sanguines au pays, en suivant toujours les recommandations de Santé Canada.

Dès 1986, il fut interdit aux hommes canadiens ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes de donner du sang, étant alors les principaux vecteurs du VIH.

Plusieurs facteurs expliquent la vulnérabilité de la communauté LGBTQ+ au virus du sida, notamment le manque d’éducation sexuelle, la stigmatisation encore répandue des rapports entre personnes du même sexe ou avec des personnes transgenres, la quantité de partenaires sexuels, l’utilisation plus répandue de drogues récréatives (comme les poppers et l’ecstasy) avant le sexe et la pratique de la pénétration anale non protégée, qui, en raison de la fragilité des tissus rectaux, est dix-huit fois plus à risque de transmettre le VIH que la pénétration vaginale non protégée.

Et ainsi le « fléau homosexuel » s’était abattu sur le monde, charriant avec soi une marée de préjugés homophobes. Ces préjugés, en particulier ceux à l’égard des personnes séropositives, règnent encore aujourd’hui autant dans les institutions gouvernementales qu’au sein même de la communauté LGBTQ+. Or, la recherche à ce sujet évolue constamment, si bien qu’une personne séropositive dont le traitement médical réduit assez la présence du virus dans son sang peut avoir des relations sexuelles non protégées sans contaminer son ou ses partenaire(s). Il existe aussi désormais une méthode de prévention contre le VIH appelée la PrEP (prophylaxie pré-exposition), qui se prend sous forme de comprimé et dont l’efficacité en fait un choix de plus en plus populaire chez les hommes gais et bisexuels.

Bien que les membres de la communauté LGBTQ+ soient plus à risque de contracter le VIH, n’importe qui peut l’attraper, homme ou femme, hétérosexuel.le ou pas. Les préservatifs et les digues dentaires demeurent essentiels pour se protéger des infections transmissibles sexuellement et par le sang.

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En 2013, le don de sang au Canada fut finalement ouvert aux hommes n’ayant pas eu de relation sexuelle avec un autre homme depuis au moins cinq ans. Cette période d’abstinence fut réduite à un an en 2016, puis à trois mois en 2019. En effet, la période fenêtre (c’est-à-dire le temps que prend un virus à être détecté dans un organisme) du VIH peut s’étendre jusqu’à trois mois. Par conséquent, même si les dons de sang sont systématiquement soumis à des tests de dépistage, si le donneur a contracté la maladie il y a moins de trois mois, le virus pourrait ne pas être détecté et ainsi infecter le receveur.

Les personnes transgenres sont elles aussi surreprésentées parmi les cas de VIH. Les femmes transgenres noires y sont les plus vulnérables : aux États-Unis, en 2019, soixante-deux pour cent d’entre elles vivaient avec le VIH. En 2016, contrainte d’enfin inclure les personnes transgenres dans ses critères d’admissibilité, la Société canadienne du sang a décidé de les trier selon leurs parties génitales, et non selon leur identité de genre. Il en va de même pour les personnes non-binaires. Ainsi, une femme trans n’ayant pas subi d’opération de réattribution sexuelle est considérée comme un homme et ne peut pas donner de sang si elle a eu un rapport sexuel avec un homme durant les trois derniers mois. À l’inverse, un homme transgenre ayant conservé ses organes génitaux féminins pourra donner du sang indépendamment de son orientation sexuelle.

Ces critères de sélection excluent des donneurs potentiels sur la base du groupe auquel ils appartiennent, plutôt que sur la base de leurs comportements. Comble du ridicule : le système de santé québécois manque de dons de sang, mais deux hommes en relation stable et en parfaite santé ne peuvent donner par le seul fait de leur orientation sexuelle. De telles conditions renforcent également les préjugés à l’égard de la communauté LGBTQ+.

En mars 2022, la loi française sur l’admissibilité aux dons de sang a donc été modifiée pour y effacer toute mention de l’orientation sexuelle. Tous.tes les Français.es seront désormais évalué.e.s selon les mêmes critères de comportements à risque, soit le nombre de partenaires sexuels et la consommation de drogues par voie intraveineuse (en plus des autres contre-indications médicales). Hors Québec, la Société canadienne du sang a déposé une demande d’élargissement des critères en décembre 2021 auprès de Santé Canada et devrait bientôt emboîter le pas à la France et à de nombreux autres pays européens. Héma-Québec, en revanche, compte pour l’instant ne renoncer au critère des trois mois que pour les dons de plasma.


1. Différence entre le VIH et le sida

VIH : Virus d’immunodéficience acquise

Sida : Syndrome d’immunodéficience acquise – ensemble des symptômes associés à la dernière phase de l’infection au VIH


2. On dit d’une personne séropositive au VIH qu’elle est atteinte du VIH, et l’inverse pour une personne séronégative.


3. Digue dentaire : Forme de protection qui est utilisée pour se protéger des ITSS lors du sexe oral.


4. Personne transgenre : Personne dont le sexe à la naissance ne correspond pas à l’identité de genre.

Ainsi, une femme transgenre est une femme née dans un corps de garçon, et un homme transgenre est un homme né dans un corps de fille. Une personne non-binaire n’est ni du genre masculin ni du genre féminin.


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