Culture et avenir dans Mon père et sa mélancolie

Par Anaïs Medouni

« À tous les bergers des “petites” cultures de notre planète, merci »

La réalisatrice canadienne d’origine chinoise Xiaodan He a réalisé en 2022 le long-métrage Mon père et sa mélancolie. Le film-documentaire suit le père de la réalisatrice qui retrace ses pas dans son village natal, dans la région de Lijiang, et avec chaque lieu visité et chaque rencontre, retrace son histoire, celle de sa culture et tente d’entrevoir son devenir.

La culture naxi

Le père de Xiaodan He fait partie de la culture naxi, minorité culturelle du sud-ouest de la Chine. Elle est entre autres la dernière culture à toujours utiliser des pictogrammes. Elle se caractérise par des chants et fables traditionnels qui sont transmis de génération en génération. Les naxi possèdent aussi leur propre religion, qui a été elle-même influencée par diverses religions de passage dans la communauté pour former, finalement, un culte qui leur est propre. Depuis plusieurs siècles, la minorité naxi ainsi que plusieurs autres minorités chinoises ont été victimes d’une répression de l’état chinois de leur culture qui a grandement entravé leur transmission. Ce contexte a fini par compromettre cette culture, en faisant ce que la réalisatrice caractérise de « petite culture ».

Mélancolie

Une interrogation s’impose lorsqu’on considère la condition de la culture naxi : qu’est-ce qui fait que certaines cultures sont « petites » tandis que d’autres se sont étendues, sont devenues dominantes ? Le fait même de qualifier ces cultures de « petites » présuppose l’existence de quelque chose de « grand » auquel on les comparerait : la « grande » culture mondiale ou majoritaire omniprésente, écrasante.

Autant accepter le fait que la survie de l’intégrité des petites cultures n’est depuis longtemps plus une question d’actualité. Mondialisation, colonisation et toutes sortes de mouvements les ont gravement compromis. Alors, quel devenir les attend ? Quel devenir pour ces cultures qui ne sont plus tout à fait ce qu’elles sont, et pour les individus sur qui repose tout le poids d’en choisir un devenir et d’en accomplir le destin ? S’offrent à eux deux possibilités : accepter l’oubli, ou tenter de lutter contre – autrement dit, la voie du berger.

Le titre anglais du long métrage est « My Father’s Journey ». En contraste avec le titre francophone, celui-ci suggère un peu d’espoir pour faire face à la mélancolie : certes, la vie du père de la réalisatrice et, par extension, celle des bergers comme lui, sont inévitablement liées à une certaine mélancolie, mais n’empêche que c’est « a journey », un périple, qui implique que ce n’est pas une fin en soi. Les petites cultures sont engagées sur la sinistre voie de l’effacement, mais peut-être aussi que cette voie mènera à une transformation, car la réalisatrice du documentaire et fille dudit berger garde tout de même en elle une part de cette culture. La réalisation du documentaire est, d’une certaine manière, sa propre forme de fable naxi qu’elle pourra transmettre aux générations futures, et au public.

Enjeux

Les membres des petites cultures font face à un dilemme : perpétuer sa culture ou l’abandonner et suivre le courant de son temps ? Les « petites » cultures menacées sont nombreuses dans le monde et chacun de ses membres fait face à cette question à différents degrés. Particulièrement dans les sociétés occidentales qui connaissent des taux importants d’immigration, on pourrait voir les cultures des individus immigrants comme des petites cultures en comparaison avec la majorité écrasante de la culture locale. Ces individus font d’autant plus face à un dilemme. En effet, la perspective de perpétuer sa culture est-elle réellement concevable ? Le plus souvent, ce sont les enfants de ces immigrants qui tentent d’y répondre par eux-mêmes, donnant souvent lieu à de majeures crises identitaires. Cet enjeu, bien que peu discuté, est cependant majeur autant dans les petites cultures natives que pour les cultures qui sont devenues petites à cause des circonstances.

Une question fatale, mais essentielle reste à être posée : les petites cultures sont-elles vouées à la perdition ?