«À dos de canne blanche» : Le problème avec l’accessibilité à Montréal

Par Noah Boisjoli-Jebali

 

La ville de Montréal est un champ de mines pour les personnes malvoyantes. En réalité, derrière sa jolie bien-pensance se cache un système boiteux qui pousse ses handicapés aux marges de la société.

Voyez-vous beaucoup d’aveugles arpenter nos rues? Je me reprends : voyez-vous beaucoup d’aveugles affronter nos rues? Et contourner les poubelles laissées en plein trottoir, et se baisser sous les branches d’arbre qui coupent leur chemin, et esquiver les chantiers de construction?

Car nos fameux cônes oranges ne font pas que ralentir la circulation et s’attirer nos railleries : ils empêchent des citoyens de marcher seuls dans leur propre quartier.

Rappelez-vous à quel point il peut vous être ardu de trouver le passage pour contourner un chantier particulièrement mal organisé. Il faut bien souvent vous référer à de lointaines flèches sibyllines, puis traverser un terrain vague, ignorer les feux de circulation, rejoindre un pont, échapper aux pluies de lave et sauver la princesse, le tout sans vous accrocher les pieds dans les nids-de-poule.

Je me suis entretenu avec Patrick, un homme handicapé visuel atteint de rétinite pigmentaire et résidant à Montréal depuis quelques années. « Le cancer qui ronge  l’accessibilité de Montréal est la construction, qui fait des trottoirs des dépotoirs à panneaux coupants et autres débris de chantier », se désespère-t-il. « La quasi-absence de couloirs sonores rend la ville impraticable. » Il rappelle que le coin entre Sherbrooke et Pie-IX a récemment été rénové, sans que les autorités aient eu la décence d’y ajouter des couloirs sonores. « Difficile à imaginer, en 2022. »

Patrick fait toutefois remarquer que « le personnel des transports [de Montréal] est courtois et engagé ».

Ainsi semblerait-il que l’on s’attende aux Montréalais ayant une déficience visuelle d’être des maîtres du parkour, ou alors d’avoir en tout temps un accompagnateur sous la main pour avoir le privilège – ô privilège extraordinaire! – de prendre l’air. Ce n’est donc pas un hasard qu’un tiers d’entre eux souffrent d’un trouble dépressif, et un peu moins de la moitié, d’agoraphobie ou de phobie sociale.

Peut-on réellement se targuer d’être la ville de l’accessibilité si notre propre voisin n’a pas accès à l’épicerie? 2,8% de la population est aveugle; il ne faudrait pas que nos institutions gouvernementales s’y mettent aussi.

Pourtant, il n’est pas utopique d’imaginer une ville accessible : l’Eurasie nous a déjà largement devancés sur le sujet. Depuis plus de cinquante ans, au Japon, les chemins comportent des marquages en relief pour signaler, par l’intermédiaire de la canne blanche, la présence d’un feu de circulation ou d’une entrée ou l’extrémité d’un quai. Des lignes en saillie permettent également d’indiquer la direction des trottoirs.

En 2015, Patrick a entrepris un tour d’Europe de trois mois « à dos de canne blanche », tel qu’il le décrit avec humour. C’est de cette manière qu’il a découvert l’éventail des possibilités en matière d’accessibilité en ville. Ainsi vante-t-il « la multitude de feux sonores et d’ascenseurs » de Vienne, « le service hors pair d’accompagnement » du métro londonien, l’accessibilité de Rome « jusque dans ses ruines » – référant à la présence d’un ascenseur dans le Colisée –, la modernité parisienne, le design uniforme des rues de Barcelone – et la liste continue. « Toutes les attractions européennes offrent des rabais exceptionnels aux personnes handicapées et à leur accompagnateur.trice », ajoute-t-il.

Travaillons donc à rendre nos rues plus accessibles : plus de citoyens que vous le croyez – non seulement les malvoyants, mais aussi vos grands-parents, les personnes en chaise roulante, les coureurs, les touristes, les insomniaques et les distraits du dimanche – vous en remercieront. Ils ont autant le droit que vous et moi de profiter de notre belle ville.

 

1. Rétinite pigmentaire : « un groupe d’affections génétiques qui portent atteinte aux cellules photosensibles de la rétine et entraînent une perte de vision graduelle, à mesure que ces cellules meurent » (FightingBlindness.ca). Elle touche 1 Canadien sur 3 500 à 4 000. La rétinite pigmentaire dont Patrick est atteint affecte la vision périphérique.

2.  Couloir sonore : Deux feux de circulation sonores placés face à face de manière à guider auditivement le piéton d’un côté à l’autre de la rue.

 

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