Sommes-nous condamnés à nous croire condamnés?

Par Noah Boisjoli-Jebali

If it bleeds, it leads. C’est un principe connu en journalisme : la tragédie fascine. Malgré lui, l’esprit humain raffole de négativité – souvent aux frais de sa propre santé mentale.

Mettre le drame et le sordide à la une est de pratique courante. Tous les journaux les plus lus le font, et ce n’est pas un hasard : notre cerveau est programmé pour porter davantage attention aux mauvaises nouvelles. Dans une récente étude menée à travers le monde, plus de 1 150 participants ont écouté des reportages pendant que leur rythme cardiaque et l’activité électrique de leur peau étaient jaugés. De fait, une augmentation significative de ces mesures lorsque les reportages traitaient de pénuries, d’incendies, de manifestations et de crimes de guerre a révélé une plus grande réaction émotionnelle aux nouvelles négatives qu’aux nouvelles positives chez la majorité des participants.

Cette culture de négativité génère également une perception distordue de la réalité. Si les médias ne mentent pas à proprement dit sur certains sujets sociétaux, ils peuvent en revanche les surreprésenter, donnant l’illusion que lesdits phénomènes sont plus répandus que dans les faits. C’est le cas de la perception de l’incidence de certains cancers. Cela va de soi : les types de cancers qui sont les plus montrés dans les médias, tels que le cancer du sang et celui du cerveau, sont estimés par la population comme étant plus prévalents qu’ils ne le sont réellement.

Une distorsion cognitive similaire et encore plus éloquente est la perception du taux de criminalité aux États-Unis par la population américaine. En effet, même si les statistiques attestent que la criminalité est en baisse depuis le début du 21e siècle, la majorité des électeurs continue de la croire plus galopante que jamais. Selon Jane Esberg, une doctorante en science politique de l’Université de Stanford, le compte-rendu de meurtres anecdotiques dans les médias nourrit l’illusion d’un danger omniprésent, et ce bien que rien n’ait été dit dans la nouvelle sur la réelle fréquence de tels événements. Cela explique pourquoi, toujours d’après Dre Esberg, « le visionnement de nouvelles télévisées – et même de drames policiers – accroît les préoccupations à propos du crime [traduction libre] ».

La problématique du biais de négativité dans les médias se pose d’autant plus avec la crise climatique actuelle. Quoique l’on veuille demeurer informés et que la situation soit évidemment urgente, il faut veiller à ne pas accabler le public de catastrophes, sans quoi, dépassé par l’anxiété et le désarroi, il s’immobilisera et se croira condamné – or, nous ne sommes condamnés que si nous nous croisons les bras! Des chercheurs et citoyens brillants rivalisent d’ingéniosité pour trouver des solutions durables à ce fiasco environnemental. Si nous désirons voir du progrès, nous n’avons pas le choix de croire en notre capacité de changer.

Un tel fatalisme finit inévitablement par plomber le moral. Il a été découvert qu’une utilisation à fins d’information du téléphone intelligent est directement liée à une hausse de l’anxiété chez l’utilisateur. Cela fut également observé en Chine en janvier 2020, aux prémices de la pandémie de COVID-19 : les Chinois qui lisaient davantage les nouvelles sur la pandémie par le moyen des réseaux sociaux étaient plus enclins à souffrir d’anxiété et de dépression.

Ainsi, bien que le pessimisme soit traditionnellement l’apanage des aînés, il semble aujourd’hui gagner du terrain chez la génération Z (qui englobe les individus nés entre 1997 et 2012). Selon un sondage mené par l’Université de Sherbrooke et le CIUSS de l’Estrie – CHUS au début du mois de février, un jeune de 16 à 25 ans sur deux « présent[e] des symptômes d’anxiété ou de dépression modérés à sévères » et un jeune de 12 à 25 ans sur quatre « a pensé qu’il serait mieux mort […] au cours des deux dernières semaines ». Certes, les confinements répétés et l’écoanxiété jouent une grande part dans le déclin de la santé mentale des jeunes, mais la manière dont les médias diffusent les nouvelles exacerbe sans nul doute le cynisme ambiant.


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