Par KidaLauzia Paquette
Sept heures du matin…
Huit heures du matin…
Neuf heures du matin…
Tout le monde aime les samedis pour l’une des raisons suivantes : retrouver ses amis ou dormir jusqu’à midi. Rares sont ceux coincés dans leur lit à compter les heures sans motivation à faire quoi que ce soit. Pourtant me voici, encore à agir différemment des autres adolescents !
Au loin j’entends les oiseaux chanter, je sens la chaleur du soleil au travers de mes rideaux noirs. Il fait beau, je le sais. Tout le monde est content, la neige s’en va et elle emporte les temps froids avec elle. C’est bien, ça apporte de l’espoir dans le cœur des gens. Moi aussi, habituellement, le printemps me fait sourire. Moi aussi, j’aime entendre le gazouillis des oiseaux, voir les fleurs qui reviennent, la couleur verte des arbres…
Pourtant, aujourd’hui, je suis incapable de me réjouir. Pas après ce que j’ai vu la nuit dernière, pas après ce que nous avons fait… Et je sais que je dois aller le voir, il m’attend, il me l’a dit hier. Mais comment pourrais-je ? Comment pourrais-je le regarder en face après tout ça ?
L’odeur, son regard, la couleur… Ce qu’il a fait – ce qu’il a fait pour moi – est tellement horrible, tellement mal. Pourquoi ? Pourquoi a-t-il fallu que ça finisse ainsi ? Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ?
Pourquoi ?
—
Je regarde nerveusement autour de moi. Des enfants rigolent et jouent dans le parc alors que leurs parents les regardent avec amour. Malgré moi, j’esquisse un petit sourire, avant de réajuster ma veste avec angoisse. Le temps n’est pas à la réjouissance, du moins pas pour moi…
Je sursaute comme jamais lorsque, soudainement, une main se pose sur mon épaule. Je me retourne en tremblant, soupirant légèrement en voyant que ce n’est que celui que j’attendais: l’homme que j’aime. Ce qui serait mignon en soit, une rencontre entre amoureux en cette journée chaude et agréable, si le sujet de notre rencontre n’était pas six pieds sous terre…
« Tu es venue… » Mon vis-à-vis semble surpris en me disant ça, comme s’il avait douté de ce fait. « Je suis venue », je confirme d’une petite voix, cachant mes mains tremblantes dans mes poches. « Pourquoi ? Après ce qu’il s’est passé je ne pensais pas que tu accepterais… » « Tu veux une réponse honnête ? Je ne sais pas pourquoi je suis venue. Je… J’ai peur, tu comprends ? Ce que tu as fait… » « Ce que j’ai fait pour te sauver la vie ! » Je soupire, irritée et toujours autant nerveuse, les yeux fixés à mes pieds. « Non… Ce n’était pas pour me sauver la vie et tu le sais. Tu aurais pu faire autrement ! Pas obligé d’aller jusqu’à le… Jusqu’à… » Incapable de finir ma phrase, d’admettre ce qui s’est passé, je ferme les yeux en espérant que ce geste pourrait arrêter ce cauchemar. C’est sans espoir, bien évidemment.
Quand j’ouvre à nouveau les yeux, il me regarde avec tristesse. « Je n’avais pas le choix… » « On a toujours le choix. » Ma réponse est sèche. « Il nous menaçait… Te menaçait ! » « Et alors ? Est-ce vraiment une raison ? » « Je me suis défendu ! C’était de l’autodéfense ! »
Je secoue la tête, n’osant pas le regarder à nouveau. « C’était un homme. Il avait une vie, peut-être même une famille ! Et toi tu lui as tout ôté… Autodéfense ou pas, tu l’as quand même fait… » « Et alors ? Tu veux que je fasse quoi… Me rendre à la police ? »
Je relève soudainement la tête, le regardant avec choc. La police ? Oui, il faudrait. C’est ce qu’on devrait faire, n’est-ce pas ? Perdue dans mes pensées, j’entends à peine son soupir de colère. Il me prend rudement par les épaules, ramenant mon attention sur lui.
« Attends, t’es sérieuse, là ? Tu réfléchis vraiment à me remettre à la police ? » Il parle fort et, paniquée, je regarde autour de moi. Heureusement, personne ne nous a entendus… Je retourne mon attention sur mon vis-à-vis, et soupire à nouveau. « Écoute je… Je sais pas, OK ? Je sais plus quoi faire, quoi dire, comment me sentir ! Je sais plus rien ! Je suis perdue ! » « Et tu crois que vendre ton copain à la police est la solution pour te retrouver ? » « Peut-être que oui ! » je dis sans réfléchir, me rendant compte de ma bêtise lorsque je vois son regard blessé et trahi. « Wow, OK… Merci pour ta confiance, ta compréhension et ton support… »
Une larme roule le long de ma joue et, embarrassée par moi-même, je prends une décision déchirante : « On devrait cesser de se voir… C’est pour le bien, tu comprends ? »
Aucune réponse… Pas que j’en attends une de toute façon; aussitôt que j’ai fini ma phrase, je tourne le dos à l’homme que j’aime et m’en vais, pleurant à chaudes larmes.
Hier, j’ai aidé à tuer un homme… Aujourd’hui, ce même crime m’a enlevé celui que j’aimais le plus…
Alors que tous crient de joie en ce beau jour de printemps, moi je me sens encore dans une cruelle tempête d’hiver.