L’Éveil

Par Ibrahima Barry

Il a plu hier soir, mes habits se sont mouillés, ma nourriture s’est souillée, mon esprit s’est embué, car je n’ai nul endroit où me reposer.

C’est ironique quand on y pense, car ma maison est grande, très grande même je dirais. Cependant, elle est anticonformiste : elle n’a ni fenêtres, ni portes, ni toit, ni placard, ni cuisine, ni salon, ni chauffage, ni électricité. En ce qui concerne l’eau courante, ça fait des jours qu’elle se cache de moi. Pour certains, ce serait un taudis, mais pour moi c’est un palace.

Je la découvre, la redécouvre, j’apprends à la connaitre sous différentes facettes, mais entre nous c’est toujours la même, on s’entend.

Petit, je voulais toujours quelque chose, que ce soit cette nouvelle paire de souliers ou cet appareil dernier cri, je les voulais toujours, toujours, toujours, toujours ! Est-ce que je les avais ? Oh que non ! Est-ce que je les voulais ? Oh que oui ! Oh que oui ! Alors qu’est-ce que je faisais ? Eh bien, je les volais, aussi simple que ça.

Quelquefois, ça marchait. Parfois, je me faisais prendre. Parfois, je regrettais. Dans certains moments, j’oubliais ! J’ai beaucoup oublié, mais je me souviens toujours de ces phrases : « Nasser, trouve-toi un boulot. »

« Nasser, ne vole pas. » « Nasser, on se doit d’être responsable à ton âge. » « Nasser, la vie n’est pas un jeu. » « Nasser, ceci n’est pas une vie. »

J’aurais dû écouter ces sages paroles qui désormais hantent mes songes, car elles auraient pu devenir le fondement même de mon existence qui malencontreusement se trouve à être un peu fébrile ces derniers temps.

On pourrait même dire qu’elle ne tient qu’à un fil.

J’aurais pu devenir un homme. J’aurais pu réussir dans cette société si seulement j’avais écouté, mais à la place, me voici aujourd’hui à la merci de la misère. Rien dans mes poches. Rien dans mon ventre. On espère, on espère. Je quête, je demande, je quémande pour avoir à manger, mais le pire ce sont leurs yeux qui me dévorent de honte.

Leurs beaux yeux marrons, bleus, noirs, verts qui me regardent de travers avec mépris, dégout et dédain. Ça me fend le cœur ! Ça me perce les entrailles de savoir que j’aurais pu avoir une vie autre que celle-ci, si seulement j’avais fait les bons choix. 

Cependant, j’étais un enfant unique, un simple orphelin qui ne demandait rien d’autre que d’être aimé. Mère et père sont partis trop tôt l’un à la suite de l’autre et cela m’a attristé jusqu’au point de me briser en mille morceaux. J’étais seul dans cette solitude, dans ce monde de vautours, de mesquins et d’égoïstes. J’ai pu les combattre pendant un certain temps, mais aujourd’hui je suis prisonnier de mon propre esprit.

La solitude a pris le dessus ! Je ne peux plus réfléchir ni même penser sans qu’elle s’incruste et sans qu’elle s’implante au plus profond de mon âme.

Pourquoi t’accrocher ? Pourquoi vouloir combattre, alors que je suis ton seul refuge, ta seule et unique salvation ?

Dis-moi : pourquoi vivre dans ce monde de mélasse, d’infortune et de tristesse qui ne t’a apporté que malheur et souffrance ?

Je l’avoue, ma vie est une existence douloureuse.

Je voulais vivre, mais je n’ai fait que survivre et subir cette maltraitance, qui pourtant est humaine. Alors, pourquoi ? Pourquoi m’obstiner à être un des leurs alors qu’ils me traitent comme un moins que rien?

 J’abandonne, je baisse les bras, je hisse le drapeau blanc.

Est-ce la fin ? Est-ce ma fin ? Oui ! Oui? Oui ? Non ? Non ? Non ! C’est inadmissible, ceci n’est pas ma fin. Ou peut-être que oui en fin de compte – non ! non ! non ! C’est inconcevable, ceci ne peut pas être ma fin. Je…. Je me…. Je me sou… Je me souviens de ce fameux dicton qui disait que si tu veux mourir, jette-toi dans la mer et tu te verras te débattre pour survivre. Alors c’est ce que j’ai fait ! Je me suis laissé perdre.

J’ai sauté. J’ai plongé la tête première dans cet abysse, pour voguer jusqu’au tartare du chaos de mon être tout en me laissant séduire, enjoliver, émerveiller par ces idées morbides, malsaines et immorales pour voir jusqu’où j’irais. Jusqu’à quel point je voulais vivre et jusqu’à quel point j’aimais la vie.

Et aujourd’hui, je le dis haut et fort, je veux vivre, je veux voir, écouter, goûter, sentir, me blottir contre la chair d’une femme, connaitre sa douceur, sa profondeur, sa chaleur, fonder une famille, avoir des enfants, des amis et surtout une maison conforme. Je veux voir au loin et connaitre le large.

Je ne veux plus subir ! Je veux vivre !

Je ne veux plus survivre ! Je veux vivre !

Je ne veux plus mourir ! Je veux vivre !

Je veux vivre ! je veux vivre ! Je veux vivre à jamais !

Et comme le disait un vieux sage : « Celui qui n’a pas connu le malheur ne pourra jamais, au grand jamais, connaitre le vrai bonheur. »