Un texte d’opinion (légèrement) réac de R. et photographie de Émile Arsenault-Laniel
Nous sommes le matin du 6 novembre. Je viens de me réveiller et je trépigne d’impatience. Les statistiques annonçaient une lutte féroce, ce qui rend la nouvelle d’autant plus surprenante : les analystes se sont plantés. La carte électorale n’est pas finement divisée, elle est plutôt d’une grande rougeur. Ce n’est pas au goût de tout le monde, mais Donald Trump est bel et bien le 47e président des États-Unis. En prime, les républicains remportent le Sénat et le vote populaire. Il s’agit d’une victoire écrasante, une victoire menée par un homme des plus controversés : n’hésitant pas à détourner la vérité, jouer avec les principes de la démocratie, et ayant été condamné pour agression sexuelle sur la personne de E. Jean Carroll, ancienne chroniqueuse du magazine Elle.
Tout compte fait, ne serait-il pas le représentant idéal ? Après tout, c’est un pays qui a la fâcheuse tendance à surprendre son auditoire, et pas toujours pour le mieux.
Utilisation de Guantánamo
Sous la présidence de George W. Bush, le gouvernement américain traque les responsables des attentats perpétrés le 11 septembre 2001, plus précisément, la destruction du World Trade Center et l’attaque contre le Pentagone, orchestrés par le réseau terroriste Al-Qaïda. Parmi la longue liste de mesures adoptées pour enrayer le terrorisme with a global reach, on notera la création d’un centre de détention sur le site d’une base navale. Plus précisément, dans la baie de Guantánamo en sol cubain, donc en ne s’encombrant pas des droits offerts aux individus détenus sur le territoire américain. Une situation permettant la torture des prisonniers, et cela sans encombre juridique. De plus, de simples soupçons suffisent pour justifier l’incarcération dans l’un des nombreux camps de Guantánamo. Aucune charge n’est donc requise contre ces détenus – tous de confessions musulmane –, qui ne sont pas tous majeurs et qui n’ont pas l’occasion de faire face à une justice équitable, ce qui fait de ce centre de détention un affront à la démocratie, elle-même.
Voici quelques sévices infligés par le personnel de la prison : privation sensorielle, privation de sommeil, humiliation religieuse, nudité forcée, maintient dans une position inconfortable et la fameuse simulation de noyade. Les termes énumérés sont vagues, alors, pour éviter toute impression de laxisme, quelques exemples concrets s’imposent : être maintenu dans une position inconfortable, sans possibilité de se mouvoir, ce qui de facto entraine l’obligation de déféquer sur soi, et cela devant autrui. Se voir contraint d’agir comme un chien : le personnel donne des consignes que le prévenu doit exécuter (reste, viens, etc.) à quatre pattes. Subir des atteintes sexuelles réalisées par des membres du personnel militaire. Mise à l’isolement dans une cellule constamment éclairée, avec une température glaciale et de forts bruits.
De nombreuses personnes, parmi lesquelles Barack Obama, président au moment de cette demande, souhaitaient la fermeture du site, mais sans succès. Qui plus est, l’administration du 44e président des États-Unis permit la détention illimitée de 47 incarcérés en 2011, soit deux ans après l’engagement d’Obama. L’actuel résident de la Maison-Blanche a soutenu, lors de son premier mandat, les opérations de Guantánamo, qui abrite toujours 30 prisonniers.
Milices frontalières & Extrême droite
À la frontière conjointe entre les États-Unis et le Mexique, des immigrants – en provenance du Mexique, mais aussi de nombreux pays d’Amérique centrale et du sud – sont cordés contre un mur : familles, enfants non accompagnés et personnes d’un certain âge. Malgré ces différences, des éléments les rassemblent : ils ont décidé de quitter leur pays pour rejoindre une nouvelle terre d’accueil en traversant la frontière de manière illégale, et tous ont été interceptés par des miliciens. Pris au piège, la peur est perceptible sur ces visages éreintés.
Je précise qu’ils ne sont pas entre les mains d’agents du Service des douanes et de la protection, mais bien d’une milice. Autrement dit, les personnes en charge de cette opération sont des civils sans titre officiel. Pourtant, à les voir, on pourrait croire qu’il s’agit d’une unité militaire. Sur des segments vidéo récupérés et diffusés par le média El País, on aperçoit l’attirail de certains membres de milices : fusils d’assaut en main, pistolets à la ceinture et gilets pare-balles sur le dos. Certains arborent même l’emblème de crâne associé à l’origine au Punisher, personnage de l’univers Marvel qui s’est donné pour mission d’exécuter les criminels croisant sa route. Un logo qui a été adopté par des groupes d’extrême droite et des agents des forces de l’ordre dans les dernières années, au point de pousser l’entreprise de divertissement à le retravailler lors des dernières apparitions de l’antihéros aux méthodes expéditives.
Si ces patrouilles sont tolérées par les autorités, qui les perçoivent comme un travail supplétif, les miliciens n’ont cependant pas le droit d’empêcher le déplacement des migrants. Malgré tout, certaines sorties se soldent par des confrontations bien réelles. Outre le danger que représentent ces individus pour les personnes effectuant une migration clandestine, la population américaine n’est pas en reste.
En effet, ces groupuscules permettent le rassemblement d’individus autour d’idées promouvant la violence et la haine. Arrêté par le FBI en 2019 pour possession d’armes, une violation flagrante des restrictions qui lui étaient imposées, Larry Hopkins était à la tête de la milice United Constitutional Patriots, opérant à la frontière du Nouveau-Mexique, et qui a détenu près de 300 demandeurs d’asile simultanément cette même année. Hopkins, qu’on surnommait le « commandant » dans ses rangs, affirma en 2017 qu’il entrainait ses membres pour éliminer Hillary Clinton, Barack Obama, mais aussi George Soros, un milliardaire et philanthrope d’origine juive qui fait office de figure à abattre pour la droite populiste. Une réaction n’étant que très peu surprenante lorsque l’on sait que l’homme d’affaires a financé nombre de causes progressistes (accès à l’éducation, réduction des inégalités et défense des minorités, notamment par un soutien ouvert au mouvement Black Lives Matter). Cette haine à l’égard de Soros est instrumentalisée par certains acteurs de la droite américaine, tels que Donald Trump, qui affirme que « L’empire Soros cherche à éliminer et affaiblir les gouvernements s’opposant à son agenda pro-immigration ».
Programme 1033 & Protection des manifestants
Apparaissant sous la gouverne de Bill Clinton, le programme 1033 autorise les services de police à récupérer et faire usage de l’équipement militaire n’étant plus utilisé par le Pentagone, ce qui implique des fusils d’assaut, des lance-grenades, mais aussi des véhicules blindés. Cette mesure est aberrante considérant la multitude de recherches démontrant le lien entre le suréquipement des agents et l’usage d’une force excessive.
Après la mort de Michael Brown, un jeune afro-américain abattu par la police lors de son arrestation, des émeutes ont éclaté à Ferguson – ville dans laquelle Brown fut soupçonné d’avoir volé des cigarillos, puis tué à la sortie d’un dépanneur –, ainsi qu’à travers le pays. Cette tragédie fut l’un des accélérants du mouvement Black Lives Matter. Dans les rues, nous pouvions apercevoir des agents avec de l’équipement de grade militaire, qui faisaient face à des civils. Au vu de cette situation et de la levée de boucliers qu’elle avait soulevée dans la sphère politique, Obama a limité les pouvoirs accordés par le programme 1033 pour éviter toutes actions répréhensibles et atténuer les tensions. Malgré cela, le président Trump – lors de son premier mandat – a supprimé les restrictions entravant le programme, appuyant ainsi une militarisation de la police.
Et malgré cette hausse de l’outillage, Amnesty International soulève qu’en 2020 certaines manifestations pacifiques furent perturbées par des menaces, voire des attaques de groupes armées, et cela sans que les services daignent offrir la protection nécessaire aux citoyens jouissant de leur droit de manifester. Il s’agit bien évidemment d’un manquement à la mission policière, qui prend une plus grande importance lorsque l’on perçoit la généralisation des agressions visant les rassemblements pacifiques aux États-Unis.
Concluons en ces termes; les trois problématiques soulevés ci-haut, par les enjeux raciaux latents qu’elles encapsulent, mènent à la perte des droits des personnes racisées, et pourtant, la majorité du peuple américain – comme le confirme le vote populaire – a consciencieusement choisi de mettre au pouvoir un homme qui va poursuivre cette dégradation des droits de la personne en sol américain. Ce n’est pas une erreur, ou le résultat d’une habile manipulation de la population, mais un choix profondément basé sur la haine. Bonne chance tout le monde.