Un texte d’Émile Arsenault-Laniel
Photographie par l’auteur
Mise en garde : Mention de consommation de substances psychoactives
Lorsque l’on souhaite décrire l’adolescence sous sa forme la plus épurée, les rires insouciants, l’apprentissage et les découvertes sont des éléments qui viennent immédiatement à l’esprit. On traverse une nouvelle gamme d’émotions, les interactions changent et des risques se prennent.
Pour certains, cette recherche de soi passe par l’usage de drogues. L’Enquête québécoise sur la santé des jeunes du secondaire (EQSJS) révèle qu’environ un étudiant sur quatre a déjà consommé des substances psychoactives. De plus, 40% des élèves qui ont consommé de la drogue au cours de leur vie auraient traversé une phase de consommation régulière, c’est-à-dire une prise de substance par semaine pendant une période s’échelonnant sur au moins un mois. Pour la majorité de ces adolescents, cette expérience n’entraînera aucune conséquence à long terme : ils s’éloigneront peu à peu de ce qui n’était qu’une expérimentation ou un simple divertissement. En revanche, d’autres resteront accrochés, comme prisonniers d’un labyrinthe des plus complexes.
Avant de poursuivre, il importe de définir la notion de toxicomanie. Le gouvernement du Québec la présente comme suit : La toxicomanie est un phénomène complexe et multidimensionnel. Elle se caractérise principalement par une perte de contrôle sur la consommation de produits psychotropes tels que l’alcool, les drogues illégales et les médicaments et peut s’accompagner d’une série de symptômes sur le plan physiologique, psychologique et social. La toxicomanie devient en quelque sorte un style de vie.
Il est nécessaire de retenir que le cœur même de la dépendance réside dans l’incapacité à mettre fin à l’usage de substances malgré le désir de s’y soustraire, entrainant une perte de contrôle sur sa consommation. C’est une roue qui tourne, c’est un engrenage, pis j’étouffe. Je sais que ce n’est pas bien, mais je suis pris là.
Ces paroles viennent de la femme assise face à moi, qui partage ce qui fut sa réalité : un segment de vie touchant où l’innocence fut sacrifiée pour pallier certaines carences majeures à travers une recherche de solutions ayant des conséquences complexes, qui l’affectent encore aujourd’hui. Bien des années après les faits, elle accepte d’aborder son passé trouble, et cela de l’introduction à la consommation jusqu’au matin de la libération.
Sa jeunesse n’était définitivement pas comme celles qu’elle apercevait à travers son téléviseur. Provenant d’une union séparée, elle dut jongler avec deux cellules familiales bien distinctes. L’une était d’une rigidité extrême, alors que l’autre détonnait par sa souplesse tout aussi extrême, qui frôlait le désintérêt. Comme elle ne voulait pas que l’on définisse sa personne par le biais de sa situation familiale et socioéconomique, elle se créa une carapace et adopta rapidement une attitude désinvolte. Ce sont ces éléments qui entrainèrent une conversation des plus décisives avec une voisine se soldant par la phrase suivante : Tu veux fumer ? Je vais te faire fumer.
C’est sur le bord d’une rivière qu’une première volute apparaitra : la spirale montera au-dessus de sa tête avant de se confondre avec les nuages découpés à même le ciel. Ce qui pénétra dans ses poumons atteignit le système sanguin et les effets se firent sentir presque immédiatement. Entre autres, le ralentissement du temps de réaction et un sentiment d’euphorie. Son premier joint fut consommé. Il n’était question que d’une infime quantité de haschich. Si le contact initial se déroula au grand air, c’est dans un contexte tout autre que l’expérience continuera. Trouvant refuge dans sa chambre, des paire d’yeux légèrement en retraits l’observeront, mais ces témoins — affublés de grandes oreilles — ne pourront intervenir. En effet, les dessins de Mickey Mouse, typiques d’une chambre de jeune fille de 12 ans, ne seront pas d’une grande aide.
Entre ces quatre murs, les palmes du ventilateur virevoltaient à haute vitesse. Cette rotation au rythme infernal contrastait avec le sentiment de détente que ressentait la nouvelle initiée. Tout semblait ralenti, sauf les palmes prisonnières d’un cycle incessant, tel un mouvement annonciateur de la plongée au sein d’une spirale destructrice à laquelle cette consommatrice devra faire face.
La toxicomanie résulte d’un schéma bien défini. Dans un premier temps, le produit va entraîner une augmentation du niveau de dopamine, un neurotransmetteur qui va fournir une sensation de plaisir intense, incitant le cerveau à continuer la consommation. Pour certains, le ressenti qu’offre la prise de substance devient une porte de sortie face à un problème, mais cette solution n’est qu’éphémère. Après la disparition des effets, la personne doit à nouveau faire face à la problématique, ce qui implique le retour de l’anxiété, qui encourage la réutilisation de cette échappatoire. Si aucune alternative n’est mise en place, la consommation peut perdurer de manière cyclique. Il faut prendre en considération par ailleurs que l’utilisation abusive, en elle-même, peut entraîner de nouvelles complications sur le plan social (difficultés financières, isolement social, etc.).
Dans un deuxième temps, l’usager développe une tolérance à la matière consommée, ce qui signifie que des doses plus conséquentes sont nécessaires pour atteindre l’effet initial, augmentant ainsi le risque de dépendance. Insidieusement, le consommateur va tisser un lien entre le bonheur et la consommation de drogue. La relation va s’accentuer avec le temps, ce qui amènera la personne à délaisser progressivement les autres mécanismes qui lui offraient de la dopamine. Pour faire simple, toutes les activités qui entretenaient son bien-être ne seront plus en mesure de rivaliser avec la consommation.
Luc Morin, criminologue et anciennement directeur général du centre d’injection supervisé Dopamine, image la situation avec grande simplicité : Tout ton ameublement de vie a disparu au profit d’un seul canapé qui prend tout l’appartement, maintenant. Il n’y a plus d’autres meubles que lui. « … » Tu es seul dans un espace vide et la seule affaire qu’il te reste, c’est ce gros sofa-là.
Au fil des années, la marijuana laissa place à d’autres drogues, mais sans pour autant disparaître du quotidien de la dame questionnée. On vieillit puis, à un moment donné, c’est comme plus assez de fumer juste de la marijuana, de fumer juste du haschich. On vieillit, on côtoie d’autres personnes qui nous amènent ailleurs, qui nous présentent d’autres substances, d’autres drogues puis ça s’enchaine comme ça.
Poursuivant de manière progressive l’usage de plusieurs produits, sa condition évolua vers la polytoxicomanie, ce qui implique une dépendance à trois substances ou plus.
Lors de la conversation, des stupéfiants sont spécifiquement mentionnés.
Amphétamine : il s’agit d’un stimulant affectant le système nerveux central, qui offre un regain d’énergie et accroît la vigilance. La substance est fréquemment utilisée pour ses propriétés euphoriques, pour accroitre la concentration, ou encore pour allonger la durée d’éveil. Durant l’entretien, l’appellation utilisée fut Speed. S’il est possible de sniffer, de s’injecter ou d’inhaler le produit, dans cette situation précise, il fut ingéré sous forme de comprimés.
Morphine : comme tous les opioïdes, elle possède des propriétés analgésiques et peut, en cas de dosage élevé, entraîner un état d’euphorie. Si cette substance représente un risque moindre lorsque comparée au fentanyl et à l’héroïne, elle reste tout de même dangereuse quand consommée à mauvais escient. Dans la situation de cette jeune femme, la prise fut intramusculaire, la morphine étant injectée par le biais d’une seringue partagée, ce qui soulève les risques associés à l’utilisation de ce type d’instrument à même la rue. Le partage de seringue expose les utilisateurs à des maladies infectieuses transmissibles par le sang telles que le VIH, l’hépatite B et la C, ainsi qu’à des infections cutanées causées par l’introduction de bactéries sous la peau. Ces multiples conséquences peuvent être évitées en utilisant des seringues stériles. Des organismes comme Cactus MTL, Dopamine, Spectre de rue et L’Anonyme se donnent comme mission, entre autres, de fournir du matériel d’injection sain aux utilisateurs.
Outre ces produits, des substances hallucinogènes furent énumérées lors de la rencontre. Cela dit, la consommation n’était qu’occasionnelle.
L’une des conséquences de la toxicomanie, c’est la diminution des ressources financières. Quand arrive le manque et que les fonds ne permettent pas de répondre à ce besoin, des astuces doivent être trouvées pour obtenir sa dose. Pour pallier ce problème, des médicaments d’ordonnance furent aussi dérobés à la pharmacie du coin. Si le vol fut utilisé pour l’approvisionnement direct de substances, il permit aussi d’en financer l’acquisition. J’ai volé un chèque à ma mère pis je l’ai signé « … » au Insta chèque, [mais] ils ne l’ont pas pris. J’étais tellement contente parce que je ne voulais pas voler ma mère, mais je n’ai pas eu de remords, par exemple, à voler les bijoux de son mari.
En dépit de moments agités et d’une personnalité bien trempée, elle préféra épargner à sa famille la vérité. Divers stratagèmes furent utilisés, allant de l’application de gouttes oculaires jusqu’à l’évitement de ses proches, pour dissimuler les signes de sa consommation. Avec le recul, elle réalise que ses tentatives de dissimulation n’étaient pas très concluantes. J’ai l’impression qu’on faisait un peu l’autruche, qu’on se mettait la tête dans le sable pis on se disait que c’était juste une passe et que j’étais jeune, mais ça perduré un petit peu plus longtemps que ça.
Un jour, soutenue dans sa démarche par un intervenant en milieu scolaire, elle voulut trouver de l’aide auprès d’un proche. Elle garda toujours en mémoire la réponse de cette personne : Qu’est-ce qu’on va dire à la famille ? À cet instant, la confiance s’est brisée, et elle n’a plus jamais abordé son assuétude aussi directement. Après ça, je n’ai rien fait. Je suis juste restée avec mon problème.
Durant tout le temps qu’elle passât avec ce poids sur les épaules, elle dut faire table rase de ce qui gravitait autour d’elle. Ses études, incomplètes. Ses rêves de danse, irréalisables. En passant d’un emploi temporaire à un autre, elle s’enfonça dans la consommation sans se soucier de l’avenir.
C’est à l’âge adulte qu’un point de fuite se présenta. En effet, elle se retrouva enceinte et s’efforça de tourner la page sur sa vie de consommatrice. Pendant quelque temps, son vendeur continua de recevoir ses appels, mais les doses, qu’elle recevait à domicile, finiront systématiquement à la toilette.
Luc Morin, après avoir entendu ce récit, acquiesça vivement et se remémora son expérience avec la clientèle qu’il soutenait: Je l’ai souvent entendu, ça, même auprès de toxicomanes qui étaient très engagés dans leur consommation, on parle d’héroïne et d’opiacé. Sur le plan criminel, la consommation les avait même amenés jusqu’à la prostitution de rue, on avait franchi toutes les phases de la prostitution « … » puis elles tombent enceintes. J’ai déjà vu ça, l’accouchement avait [précipité] la rémission, parfois momentanée, pendant un an, deux ans ; puis une rechute. Quelquefois, avec des rémissions à plus long terme.
Pour l’ex-intervenant, la naissance d’un enfant peut favoriser le cheminement vers la guérison. Le parent toxicomane, incapable de s’aider lui-même, trouvera la motivation nécessaire pour changer son comportement, notamment en arrêtant la consommation de drogues et en adoptant un mode de vie plus sain, afin de protéger l’enfant. Sur le plan biologique, la dopamine sera influencée par le plaisir de devenir parent et d’envisager le meilleur pour son enfant. Bien que ce ne soit en aucun cas une garantie absolue de réussite ni une solution miracle, en matière de sécrétion de neurotransmetteurs, la parentalité représente un concurrent sérieux à la prise de substances.
Dans le cas de mon interlocutrice, elle réorganisa son quotidien et entreprit un parcours des plus remarquables. Outre l’arrêt de la consommation, l’une des actions les plus concrètes qu’elle mit en place fut son inscription au programme Olo, qui propose aux nouveaux parents à faible revenu des aliments sains et un suivi nutritionnel pour favoriser le bon développement de l’enfant. Après la naissance de son nouveau-né, elle entreprit un parcours des plus remarquables en retournant à l’école et en se créant un nouveau cercle social qui ne dépendait plus de la prise de substances. Aujourd’hui, elle partage son récit dans l’espoir que d’autres puissent trouver, à travers des bribes de son histoire, la force de s’extirper du piège tenace qu’est l’addiction à la drogue. Il ne sera pas toujours question de naissance ou de volonté parentale, mais force est de constater qu’il est possible de trouver une issue, peu importe le nombre de rounds nécessaires.
Pour ceux qui auraient besoin d’une petite poussée, l’organisme Drogue : aide et référence (DAR) a pour mission d’offrir une ligne d’écoute et de transmettre des informations sur les ressources d’aide, en matière de toxicomanie, disponibles dans votre secteur. Les numéros ci-bas sont disponibles 24/7 et le service est gratuit ainsi qu’anonyme.
Montréal et ses environs : 514 527-2626
Reste du Québec : 1 800 265-2626
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