Par Émile Arsenault-Laniel
Photographie ci-haut : « C’est un peu les frères Dalton des fenêtres », octobre 2022, Émile Arsenault-Laniel
Lorsqu’il est question de l’art de rue qu’est le graffiti, il est facile de tisser un lien avec la liberté qu’offre ce médium. Bombe de peinture à la main, le graffiteur se déplace dans les centres urbains et s’approprie ceux-ci en marquant dans l’ombre les surfaces nues et froides.
De l’immeuble conventionnel à la pancarte électorale, rien n’est à l’abri de cette prise de possession par le pouvoir de l’occupation artistique. Une occupation qui déplait à certains, comme présenté sur le site officiel de la Gendarmerie royale du Canada, les tags et les autres types de graffitis étant associés à une forme de délestage de la part de la municipalité qui amène les résidents à se questionner sur le niveau de sécurité de leurs quartiers. En effet, si le « vandale » n’est pas attrapé sur le fait, en sera-t-il de même pour les autres criminels tapis dans l’obscurité ? Cette question soulève ainsi le sujet de la théorie de la fenêtre brisée amené par George L. Kelling et James Q. Wilson. Ceux-ci avancent que si les délits mineurs sont réprimés, la criminalité va être conséquemment décroissante. À l’inverse, s’il ne sont pas réprimés, ils vont probablement entraîner une hausse d’actes délictueux. Cette situation relativement simple s’expliquant par le fait que les citoyens ne commettant pas de délits vont développer un sentiment d’insécurité par rapport à leur quartier, amenant un retrait de leur part des lieux publics. Cela implique ainsi que l’espace nouvellement abandonné va être repris par des individus n’étant pas embarrassés par l’atmosphère délictuelle transformant ainsi la zone, puisque les actes répréhensibles ne vont plus être restreints par la pression sociale qui régit d’une certaine façon la conduite des habitants. Il est donc question d’une détérioration physique entraînant une détérioration qui cette fois est sociale. Pour faire simple, le graffiti peut entraîner une dégradation sociale pouvant aller jusqu’à la ghettoïsation, un terme souvent incompris ou utilisé à mauvais escient, impliquant ici que des personnes avec une vision similaire vont s’enfermer dans une zone délimitée aux dépens de la diversité et du respect de la loi.
Pour revenir à une problématique plus concrète à court terme, cette forme d’expression artistique entraîne aussi des coûts faramineux qui retombent sur les contribuables. Une situation s’expliquant par le fait qu’une municipalité comme Montréal offre le nettoyage aux citoyens. Selon les prévisions de la ville, l’activité des graffeurs entraînera un coût de 687 000$ et cela uniquement pour l’arrondissement Mont-Royal en 2022.
Jusqu’à présent, il est question de l’impact néfaste de l’action des tagueurs sur la collectivité, mais d’un point de vue plus individuel, cette activité se trouve être bénéfique et d’une certaine façon utile à la société. Avec l’utilisation de l’aérosol comme moyen d’expression, le graffeur s’ouvre les portes d’un monde n’étant pas régi par les dogmes habituels, affublé d’un pseudonyme, un véritable masque, ce dernier prouve sa valeur dans ce domaine uniquement par ses actes, atteindre un niveau de maitrise respectable par le biais de la pratique ou bien trouver une structure valant la peine d’être peinte. En effet, ce domaine est pratiquement indissociable de la reconnaissance des pairs, les œuvres sont peintes pour être vues et plus un lieu est difficile d’accès, plus la prouesse est reconnue par le milieu. Cette situation amène l’individu à se dépasser pour être accepté par le groupe et d’une certaine façon à se forger une identité propre, donc trouver son style et par le fait même des repères face aux autres. Cette réalité est bien présentée par Maniks, un graffeur montréalais rencontré par Jean-Marc Beausoleil dans le cadre de la confection de son œuvre Le chrome et le noir :
« Il y a le jour et il y a la nuit. Il y a la vie civile et l’aventure du graff. (…) Plus chaud est l’endroit, plus dangereuse est l’action. Il y a la quantité et la qualité. Il faut écrire son nom le plus souvent possible, mais aussi choisir l’emplacement qui va attirer l’attention, forcer le respect. »
Plus de tags, donc plus de coûts et cela sans compter le risque que peut représenter l’accès à un lieu de prestige comme un château d’eau ou un viaduc. Cependant, il faut prendre en compte que cette situation amène le pratiquant à se mettre en question et à travailler sur lui-même pour se perfectionner, des gestes/attitudes qui redirigés dans d’autres sphères de la société vont être bénéfiques pour le fonctionnement de cette dernière. Cette information pertinente le devenant encore plus lorsque le graffeur est sur le point de passer à l’âge adulte, donc au tournant d’une nouvelle vie pouvant aller de pair avec le graffiti, mais pouvant surtout bénéficier de l’effort et du travail sur soi qu’entraîne l’art. Il est aussi possible de prendre l’action comme telle et de rediriger cette dernière de manière à la sortir de l’illégalité en offrant davantage aux artistes et par le fait même permettre à la collectivité d’aussi tirer jouissance des actions de ces derniers.
Le cas du Café Graffiti est véritablement représentatif du recentrage possible et de son utilité. En effet, l’organisme fondé par Raymond Viger en 1997 dans le quartier Hochelaga permettait aux graffeurs d’exposer et de s’exercer dans un cadre légal avec des activités organisées, mais aussi de s’associer à des entreprises privées pour embellir l’espace public. Cette approche permet aux graffeurs de 16 à 25 ans de s’exprimer en embellissant l’espace public. Une ressource offrant aussi à la clientèle de s’éloigner de milieux plus problématiques et de profiter d’un encadrement pour démarrer une carrière artistique professionnelle. Aujourd’hui, la mission du Café Graffiti est plus axée sur l’aide et l’accompagnement de jeunes ressentant le besoin de se trouver dans un espace sain et sécuritaire permettant l’intégration et la socialisation, mais d’autres organismes comme MU, Dose Culture et même des regroupements ne se spécialisant pas dans l’art urbain comme Concert’Action Lachine, avec leur projet de murale Saint-Pierre en couleurs, sensibilisent toujours la communauté et donnent la possibilité de partager une vision de manière légale.
Si certains se sont rabattus sur ces possibilités, une forme de méfiance s’installe au sein de la communauté du graffiti puisque l’affiliation avec l’État ou la sphère privée pourrait teinter le regard des artistes étant auparavant complètement libres. Un des freins revenant régulièrement est aussi l’intérêt que les municipalités portent pour les murales, c’est-à-dire les œuvres immenses tapissant les édifices et qui s’éloignent de ce que font les graffeurs, malgré l’affiliation par le biais de l’art urbain. Les dires du muraliste et graffeur Monk.e au micro de Radio-Canada présentent parfaitement cette situation :
« Je pense que l’essor rapide qu’a eu le muralisme corporatif, le muralisme d’envergure, je crois que cela a créé un retour de dire : ce n’est pas nous ça, ce n’est plus nous, maintenant t’sé… Ça l’a une esthétique qui ressemble au graffiti, mais ce n’est pas ce que le graffiti est. ».
Maintenant, il ne reste qu’à voir comment les centres urbains et les institutions artistiques vont adapter leurs approches pour permettre une association plus avantageuse avec les graffeurs tout en conservant la culture inhérente à cette pratique pour intéresser plus d’artistes soucieux de la conservation de leur « crédibilité de rue » et de la liberté de créer.