Amour fou

Par KidaLauzia Paquette

« I can’t escape this hell, so many times I’ve tried, but I’m still caged inside. »

Elle est assise là, dans la pièce à côté. Depuis les escaliers où il est assis, il peut la voir clairement, comme de l’eau de roche. Elle joue, sur son piano, une douce et apaisante mélodie, souriante et heureuse. Elle ne sait pas ce qu’il a prévu de faire. Elle ne connait pas l’existence des trois revolvers qui reposent impatiemment sur son lit, ou celle des douze cocktails molotov dans son sac. Elle ne le voit pas, ne voit pas son visage déchiré par la peine.

Non… Elle ne sait rien, et c’est mieux ainsi. Il ne veut pas, il refuse qu’elle n’ait ne serait-ce qu’un minuscule doute à propos de ce qu’il compte faire. Parce qu’il l’aime. Il l’aime tellement, elle qui a toujours été à ses côtés, et il souhaite plus que tout qu’elle ne garde de lui que des beaux souvenirs. C’est cette raison même qui le convaincra finalement, une heure plus tard, à exécuter ce geste immoral.

« No one would ever change this animal I have become. Help me believe it’s not the real me, somebody help me tame this animal. »

Deux années plus tard, lorsqu’il sera devant la cour, plaidant coupable pour un meurtre au second degré, il avouera être plein de remords. Écrite noir sur blanc sera sa raison de l’avoir froidement assassinée : il l’aimait. Sa précieuse mère, la femme qui jouait du piano pour le consoler la nuit, la femme qui lui chantait des berceuses lorsqu’il était bébé. Tellement… Il l’aimait tellement ! Et elle n’avait pas mérité un tel sort, ça aussi il l’avouera plus tard à la cour.

« I can’t escape myself, so many times I’ve lied, but there’s still rage inside. Somebody get me through this nightmare, I can’t control myself. »

Mais alors pourquoi… Pourquoi, alors même qu’il était en parfait état d’esprit, regardait-il cette vieille femme au cœur d’or, lui faisant mentalement ses adieux ? Pourquoi ? Il l’aimait ! L’amour… Voilà exactement sa raison d’agir. Sa mère lui était si précieuse, qu’il préférait encore mettre fin à ses jours plutôt qu’elle ne voit, aux nouvelles, ce qu’il allait faire. Ça lui en avait pris, du temps, à se décider ! Mais maintenant qu’il était sûr de lui, tout semblait enfin être clair…

Il allait l’assassiner. Oui, lui, Ryan, allait assassiner le premier ministre.

Mais, avant cela, il devait s’occuper d’elle, devait être sûre que la vieille femme ne garderait que les plus beaux souvenirs de son fils. Quelques années après, on se demandera l’éternel « pourquoi ? ». On le regardera, se dirigeant à la prison où il passera le reste de ses jours, et on sera révolté par le geste qu’il a commis. On ne comprendra pas, jamais. Parce que, aux yeux de tous, il est impossible de tuer par amour. Pourtant, c’est exactement la raison qui le poussait en ce moment. L’amour, oui l’amour. Il faisait tout cela par amour, et non par folie.

Il l’aimait tant ! Il l’aimait éperdument, l’aimait plus qu’il ne s’était jamais aimé ! Il l’aimait à la folie ! Oui ! Sans elle, il était perdu ! Perdu, perdu, perdu ! Il l’aimait ! Il ne voulait pas faire ça ! Il l’aimait ! Il le devait ! Il l’aimait ! Et donc, remontant lentement dans sa chambre, le garçon prit l’un de ses revolvers. Encore plus lentement, il redescendit les escaliers. Et, en ralenti, comme on le voit dans les films, il leva son arme avant de finalement tirer la balle fatale…

Il tira, à l’arrière de la tête de sa mère.

҉

À Barbara,

Ma chère mère. Ma raison d’être. Mon rayon d’espoir.

Je t’écris aujourd’hui de ma cellule. Le jury a longuement hésité, avant de finalement opter pour quatorze ans de silence. Moi, ça me convient. Je trouve même que c’est une bonne chose. Bien que je n’ai pas exécuté mon acte, j’y ai pensé. Je trouve que c’est donc mieux d’être ici plutôt qu’à la maison avec toi. Tu me manques énormément, maman, et j’ai hâte de te revoir. En fait, la seule pensée qui m’aide à survivre, ici entre les murs de cette chambre, est la perspective de bientôt te rejoindre.

En espérant du plus profond de mon être que tu ne m’en veux pas, que tu comprends ce que j’ai fait. Je t’aime, maman, je t’aime plus que tout. Je ne voulais pas que tu vois cette bête féroce tapie au fond de moi. Je voulais qu’éternellement tu sois fière de moi, à tout jamais souriante et paisible.

Il est tard maintenant, je dois te laisser. Mais ne t’en fais pas, tu ne seras pas seule pour longtemps… Je compte te rejoindre ce soir.

Je t’aime,

Ton fils.