Par Noah Boisjoli-Jebali
Photographies par Émie Bussières et Noah Boisjoli-Jebali
Jeudi le 22 septembre, 7h. Des étudiant.e.s distribuent des boissons chaudes, des collations et des hauts-parleurs aux nombreuses portes du Collège, qui seront bientôt gardées par une centaine de jeunes en manque de sommeil/caféine/gants. La mobilisation se prépare.
Une des portes de la rue Nicolet ne tarde cependant pas à s’activer. La méthode de prédilection de ces élèves pour se réveiller et se réchauffer ? La musique des Trois Accords et la danse en ligne !
Des affiches en train de sécher faites par les étudiant.e.s de Maisonneuve et du Vieux-Montréal
Le nombre d’étudiant.e.s présent.e.s dépasse les attentes de plusieurs. « Il y a beaucoup plus de monde que l’année dernière », dit Matys, qui avait également piqueté lors de la grève de l’hiver passé. Selon lui, les conditions cette année sont bien plus propices à un tel évènement.
Arthur, membre du comité exécutif de l’association étudiante, se dit lui aussi « plaisamment surpris ». Il affirme, parlant de l’assemblée générale du 20 septembre : « Il y a eu un engouement de la population étudiante qui était vraiment impressionnant, même que l’exécutif était complètement dépassé ! Ça fait plusieurs années qu’il n’y a pas eu d’assemblée générale avec autant de personnes présentes. » En effet, celle-ci a réuni plus de 10% de la communauté de Maisonneuve.
Léa, qui s’était déjà engagée pour l’environnement au primaire et au secondaire mais qui le faisait pour la première fois au cégep, s’enchante : « On est plus conscients de ce qu’il se passe que quand j’étais plus jeune au primaire. Je sais qu’on a plus de contrôle [qu’avant], c’est le fun de s’autodéterminer ! » Son amie Alice, étudiante du cégep du Vieux-Montréal lui aussi en grève, ajoute : « S’impliquer dans un mouvement de groupe, non seulement c’est motivant parce qu’il y a d’autres personnes qui pensent comme toi, mais aussi ça fait que tu te sens plus utile et tu as moins de chance d’être cynique ou nihiliste. »
Mes collègues me parlent surtout d’investir dans le transport en commun et le développement durable et de taxer les riches et les entreprises polluantes. Naturellement, l’éducation tient à cœur à plusieurs. « Selon moi, c’est une des choses les plus importantes quand on veut avancer dans la vie », dit Elia. Sophie renchérit : « De mon primaire à mon secondaire, à part nous, les élèves, qui parlions d’environnement, et des profs qui étaient avec nous, on n’a jamais eu de cours qui parlait d’environnement. » Elle soulève l’idée de recevoir des formations non seulement en écologie, mais aussi en politique.
Contre toute attente, de nombreux.se.s jeunes expriment également un certain intérêt envers l’indépendance du Québec.
Une fois les cours officiellement levés grâce au piquetage, un petit contingent d’élèves se déplace à pied et en métro jusqu’au cégep du Vieux-Montréal dans le centre-ville, où ils et elles sont attendu.e.s. Un fabuleux sentiment de communauté règne – quelque chose que la plupart n’ont pas encore connu dans un milieu collégial.
Photo par Émie Bussières
Muni de la bannière de la Sogéécom, le groupe s’assoit brièvement au milieu de la rue Sainte-Catherine avant de reprendre son chemin.
L’arrivée du contingent de Maisonneuve au cégep du Vieux-Montréal
Arthur m’explique le plan d’action : « Le but, c’est d’augmenter graduellement la pression jusqu’à temps que le parti au pouvoir n’ait pas le choix de poser des actions. » Il précise que les grèves ne sont pas le seul moyen de pression envisagé par la communauté étudiante. « Avant tout, l’idée d’un mouvement c’est de mettre de la pression, mais c’est aussi de réfléchir ensemble aux enjeux de société. » C’est pourquoi il espère voir naître, entre autres, des moments de discussion, des débats, des manifestations thématiques et des sit-ins – tout autant de manières de protester contre l’inaction gouvernementale.
Au sujet de la coopération avec le cégep du Vieux-Montréal puis, plus tard dans la journée, avec Saint-Laurent et Dawson, Arthur affirme : « Ça a permis de créer un lien avec d’autres assos étudiantes et une belle solidarité. »
Vendredi matin, le piquetage recommence, mais cette fois-ci avec un allié précieux : le syndicat des professeur.e.s, qui a voté pour la grève de vendredi uniquement.
« La planète brûle », peut-on lire écrit à la craie sur le sol du stationnement à côté des kiosques de nourriture et de confection d’affiches organisés par les enseignant.e.s.
En matinée a lieu une séance de « cégep populaire », durant laquelle les professeur.e.s parlent à tour de rôle d’environnement et de mobilisation à la petite foule qui s’est rassemblée autour.
Je m’entretiens avec Jean-Manuel, qui vient de livrer un discours passionné après qu’un enseignant lui ait spontanément offert le micro.
« Il faut que le monde ait du temps pour débattre et pour penser, parce qu’en ce moment on est tellement aliénés que quand on a du temps, est-ce qu’on a envie d’aller lire un texte compliqué ? » Selon lui, le problème résiderait entre autres dans cette « accélération du temps », tel qu’il l’a décrit dans son discours, citant le sociologue allemand Hartmut Rosa. « On devrait être capables de [se détendre], mais aussi de s’impliquer. » Ce principe donnerait donc tout son sens à de telles journées de grève, durant lesquelles plusieurs étudiant.e.s ont profité du cégep populaire pour discuter, s’instruire et bâtir une communauté axée sur un but commun.
Les professeur.e.s, quant à eux et elles, se disent optimistes en voyant l’intérêt que leurs élèves portent au sujet de l’environnement. Une professeure du Collège me parle de la raison de son engagement : « Il ne faut pas s’attendre à ce que les petits gestes quotidiens et individuels mènent à un vrai changement, il faut se mobiliser pour envoyer un message clair au gouvernement. » Elle ajoute : « Il faut s’unir pour envoyer un message d’urgence. J’adore mon travail, j’adore enseigner, mais parfois il y a des causes qui dépassent le simple cours que je vais donner. »
Les deux journées de grève se concluent sur une manifestation dans le centre-ville de Montréal, durant laquelle je croise le contingent qui porte la bannière réalisée jeudi par les étudiant.e.s de Maisonneuve et du cégep du Vieux-Montréal.