Par Vicky Delorme
Cher Charles,
Et voilà une lettre de plus qui vient de ta part. L’habitude ne fera pas défaut. Comme pour les autres fois, ma réplique à ton message ira dans le tiroir de mon bureau. Elles continuent affreusement à s’accumuler et les réponses se ressemblent toutes. Elles se veulent toutes froides et sans émotions. Cependant, peut-être qu’aujourd’hui je vais faire preuve d’honnêteté envers moi-même et par la même occasion envers toi. Pourquoi ce retournement de situation ? Tout simplement parce que j’en ai assez de me mentir. Tu sauras enfin mes sentiments à mesure que je t’écrirai. Oui peut-être que tu recevras une réponse pour une fois.
Donc d’après tes écrits, je constate que tu ne vas toujours pas mieux. Savais-tu que je m’en doutais ? Ton sourire sonne constamment mensonger lorsque je te croise. Ça m’ennuie de te voir si triste et si seul, mais je ne montre absolument rien. Je veux éviter de te donner de faux espoirs, car je m’inquiète, mais pas comme tu le désirerais. À la question à propos de ta possibilité de rechercher la rédemption, je crois que oui, tu t’accroches beaucoup trop au passé. Tu ne peux pas aller au-delà de notre ancien amour et tu espères me retrouver. On ne revient pas vers une personne qui nous a laissé. La vie ne fonctionne pas ainsi pour moi et tu le sais pertinemment. Tu ajoutes également que les temps ont changé, mais je ne vois pas du tout de modifications, du moins en ce qui te concerne. Tu oses croire encore que tout n’est que circonstances. C’est faux. Le destin aspirait à nous faire souffrir. Ne l’apercevais-tu pas rire discrètement derrière notre dos ? J’ai pris connaissance de notre fin bien avant l’heure fatale. Je voulais m’accrocher et espérer que tu comprendrais. C’était une erreur pour nous deux de penser ainsi.
Je comprends en partie ta douleur. C’était la même que j’éprouvais à l’époque. Elle s’emparait de ma raison et me forçait à penser à des moments précis de bonheur. Je savais que ce n’étaient que des souvenirs et ça me faisait horriblement mal. Ça me poursuivait jour et nuit. Mes sentiments me poignardaient et me consumaient petit à petit. Si tu n’ignorais pas comment je souffrais par le passé, tu comprendrais tout. Je ne te mentirai pas : maintenant, tout va relativement mieux depuis ton absence à mes côtés.
Sais-tu comment on nomme tout ce que tu ressens de négatif ? On appelle ça une dépression. Tu n’as pas besoin de décrire tes symptômes. Je les connais par cœur. Tu commençais déjà tout proche de notre rupture. Dans ma dernière lettre, ne t’avais-je pas recommandé d’aller voir un psychologue ? Hm, c’est vrai, je n’ai jamais posté mes réponses. Peut-être que si je l’avais fait, tu irais mieux maintenant ? J’en doute énormément. Tu m’accordes beaucoup trop d’importance, t’écrire n’aurait qu’attisé encore plus ton espoir, puis ta déception et ton mal-être. Ce n’est pas parce que je n’ai plus le même sentiment envers toi que je veux te voir souffrir. Ça me peine beaucoup.
Au moins, un point positif triomphe. Tu arrives toujours à t’en sortir, mais pour combien de temps encore ? Plus j’écris, plus une colère s’installe en moi, celle de te voir dépérir sous mes yeux. Sais-tu que j’aperçois très bien tes blessures aux bras ? Tu les caches mal. Peut-être espères-tu que je les remarque sous ton regard triste ? Que je te prenne dans mes bras devant tous ? Que je t’embrasse ? Laisse-moi rire, tu évitais qu’on nous voie main dans la main ! Grandis un peu et agis comme un adulte !
J’aurais aimé recevoir tes excuses à l’époque. Peut-être, je dis bien peut-être que nous serions encore ensemble aujourd’hui. Cependant, même si je désirais tes explications, c’étaient des actes concrets que je souhaitais le plus au monde. Comme tu l’affirmes si justement, les mots simples à prononcer perdent de leurs valeurs et de leurs sens avec le temps. Je voulais qu’on se déclare à l’univers ! Qu’on se promène main dans la main en public ! Qu’on se cajole, qu’on se montre notre affection l’un envers l’autre sans avoir peur du jugement, car lorsque l’amour se partage, ça n’a plus d’importance. Tu n’as malheureusement jamais assimilé. Petit à petit, tu te renfermais. Tu désirais que je te comprenne, mais ce n’était pas possible. Sais-tu ce que j’ai saisi ? Que tu m’as rejeté ! Que tu nous as repoussé ! Je t’en ai voulu tellement longtemps.
Veux-tu vraiment savoir si j’ai progressé ? Oui, je me sens parfaitement bien maintenant, sauf lorsque je t’aperçois. Je t’accusais plus haut de rester dans le passé, mais je ne suis pas mieux que toi. Je ressemble physiquement à une lune. Tu me vois briller au loin, mais justement tu es trop loin pour remarquer mes crevasses. Moi aussi j’ai eu affreusement mal. J’éprouve encore une certaine douleur lorsque je sens ton regard sur moi.
J’espère que tu comprends mieux certains de mes agissements envers toi. Notre relation n’a jamais évolué, car tu ne voulais pas t’accepter. Tu n’aimes que les hommes, Charles. L’avis des autres ne devrait pas compter lorsque tu éprouves du bonheur. Je sais que tu étais satisfait avec moi. Alors pourquoi ? Pourquoi avoir gâché une connexion comme la nôtre ? Aujourd’hui, je te vois encore comme une personne précieuse à mes yeux, mais ça fait trop mal. Tu as tout saboté et tes remords ne servent à rien. Ne m’écris plus du tout, parce que je ne lirai plus tes lettres.
Dan